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Tout est kitsch, si l'on veut. La musique dans son ensemble est kitsch; l'art est kitsch; la littĂ©rature elle-mĂȘme est kitsch. Toute Ă©motion est kitsch, pratiquement par dĂ©finition; mais toute rĂ©flexion aussi, et mĂȘme dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c'est le nĂ©ant.
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Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
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Dit comme ça, c'Ă©tait un peu cucul Ă©videmment, mais bon, c'Ă©tait la vĂ©ritĂ© et il y avait bien longtemps que le ridicule ne les tuait plus: pour la premiĂšre fois et tous autant qu'ils Ă©taient, ils eurent l'impression d'avoir une vraie famille. Mieux qu'une vraie d'ailleurs, une voulue, une pour laquelle ils s'Ă©taient battus et qui ne leur demandait rien d'autre en Ă©change que d'ĂȘtre heureux ensemble. MĂȘme pas heureux d'ailleurs, ils n'Ă©taient plus si exigeants. D'ĂȘtre ensemble, c'est tout. Et dĂ©jĂ c'Ă©tait inesperĂ©.
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Anna Gavalda (Hunting and Gathering)
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Tout le problĂšme de l'amour, me semble-t-il, est lĂ : pour ĂȘtre heureux on a besoin de sĂ©curitĂ© alors que pour ĂȘtre amoureux on a besoin d'insĂ©curitĂ©. Le bonheur repose sur la confiance alors que l'amour exige du doute et de l'inquiĂ©tude. Bref, en gros, le mariage a Ă©tĂ© conçu pour rendre heureux, mais pas pour rester amoureux. Et tomber amoureux n'est pas la meilleure maniĂšre de trouver le bonheur; si tel Ă©tait le cas, depuis le temps, cela se saurait. Je ne sais pas si je suis trĂšs clair, mais je me comprends: ce que je veux dire, c'est que le mariage mĂ©lange des trucs qui ne vont pas bien ensemble.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans - Le roman suivi du scénario du film)
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Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux oĂč nous Ă©tions amis
En ce temps-lĂ la vie Ă©tait plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi.
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi,
Mais mon amour silencieux et fidĂšle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu Ă©tais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-lĂ la vie Ă©tait plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu Ă©tais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets.
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais, moi je t'aimais
Et nous vivions, tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
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Jacques Prévert
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« Toute communautĂ©, qu'elle soit familiale ou autre, nous est haissable, dĂ©gradante. Nous sommes ensemble dans une honte de principe d'avoir Ă vivre la vie. C'est lĂ que nous sommes au plus profond de notre histoire commune, celle d'ĂȘtre tous les trois des enfants de cette personne de bonne foi, notre mĂšre, que la sociĂ©tĂ© a assassinĂ©e. Nous sommes du cĂŽtĂ© de cette sociĂ©tĂ© qui a rĂ©duit ma mĂšre au dĂ©sespoir. Ă cause de ce qu'on a fait Ă notre mĂšre si aimable, si confiante, nous haĂŻssons la vie, nous nous haĂŻssons.
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Marguerite Duras (The Lover)
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Les gens riches Ă Paris demeurent ensemble, leurs quartiers, en bloc, forment une tranche de gĂąteau urbain dont la pointe vient toucher au Louvre, cependant que le rebord rebondi s'arrĂȘte aux arbres entre le Pont d'Auteuil et la Porte des Ternes. VoilĂ . C'est le bon morceau. Tout le reste n'est que peine et fumier.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Journey to the End of the Night)
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Câest tout ensemble un Ă©tourdissement et un Ă©blouissement. Il y a comme un bruit de cloche qui Ă©branle les cavitĂ©s de mon cerveau...
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Victor Hugo (Le Dernier Jour D'un Condamné ; Claude Gueux)
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Ce qui empĂȘche les gens de vivre ensemble, câest leur connerie, pas leurs diffĂ©rences .
[Ensemble, câest tout]
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Anna Gavalda
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« Il faut dire quâun sĂ©jour continuel dans un Ătat bien organisĂ© a quelque chose dâabsolument fantĂŽmal ; on ne peut sortir dans la rue, boire un verre dâeau ou monter dans le tram sans toucher aux leviers subtilement Ă©quilibrĂ©s dâun gigantesque appareil de lois et de relations, les mettre en branle ou se faire maintenir par eux dans la tranquillitĂ© de son existence ; on nâen connaĂźt quâun trĂšs petit nombre, ceux qui pĂ©nĂštrent profondĂ©ment dans lâintĂ©rieur et se perdent Ă lâautre bout dans un rĂ©seau dont aucun homme, jamais, nâa dĂ©brouillĂ© lâensemble ; câest dâailleurs pourquoi on le nie, comme le citadin nie lâair, affirmant quâil nâest que du vide ; mais il semble que ce soit justement parce que tout ce que lâon nie, tout ce qui est incolore, inodore, insipide, sans poids et sans moeurs, comme lâeau, lâair, lâespace, lâargent et la fuite du temps, est en rĂ©alitĂ© lâessentiel que la vie prend ce caractĂšre spectral. »
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Robert Musil (The Man Without Qualities)
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Ma perfection n'est pas dans l'idĂ©e du romantisme de cette fĂȘte, ni dans le fait d'ĂȘtre en couple et encore moins dans les activitĂ©s Ă deux. Non, ma perfection, c'est lui. Peu importe oĂč, comment, dans quel contexte et tout le reste : si nous sommes ensemble, je l'ai, ma romance de NoĂ«l parfaite.
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Fleur Hana (Ma Romance de Noël (presque) parfaite)
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Cela pose un problĂšme que...?"
"Que tu ne sois pas juif? Pas le moins du tout, dit maman en riant. Ni mon mari ni moi n'accordons d'importance à la différence de l'autre. Bien au contraire, nous avons toujours pensé que'elle était passionnante et source de multiples bonheurs. Le plus important, quand on veut vivre à deux toute une vie, est d'etre sur que l'on ne s'ennuiera pas ensemble. L'ennui dans un couple, c'est lui qui tue l'amour. Tant que tu feras rire Alice, tant que tu lui donneras l'envie de te retrouver, alors que tu viens à peine de la quitter pour aller travailler, tant que tu seras celui dont elle partage les confidences et à qui elle aime aussi se confier, tant que tu vivras tes reves avec elle, meme ceux que tu ne pourras pas réaliser, alors je suis certaine que quelles que soient tes origines, la seule chose qui sera étrangÚre à votre couple sera le monde et ses jaloux.
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Marc Levy (Les Enfants de la liberté)
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La grandeur d'un mĂ©tier est peut-ĂȘtre, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe vĂ©ritable, et c'est celui des relations humaines.
En travaillant pour les seuls biens matĂ©riels, nous bĂątissons nous-mĂȘmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre.
Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achÚte pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours. (p. 35-36)
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Ma liberté
Longtemps je t'ai gardée
Comme une perle rare
Ma liberté
c'est toi qui m'as aidé
A larguer les amarres
Pour aller n'importe oĂč
Pour aller jusqu'au bout
Des chemins de fortune
Pour cueillir en rĂȘvant
Une rose des vents
Sur un rayon de lune
Ma liberté
Devant tes volontés
Mon Ăąme Ă©tait soumise
Ma liberté
je t'avais tout donné
Ma derniĂšre chemise
Et combien j'ai souffert
Pour pouvoir satisfaire
Tes moindres exigences
J'ai changé de pays
J'ai perdu mes amis
Pour gagner ta confiance
Ma liberté
Tu as su désarmer
Toutes mes habitudes
Ma liberté
toi qui m'as fait aimer
MĂȘme la solitude
Toi qui m'as fait sourire
Quand je voyais finir
Une belle aventure
Toi qui m'as protégé
Quand j'allais me cacher
Pour soigner mes blessures
Ma liberté
Pourtant je t'ai quittée
Une nuit de décembre
J'ai déserté les chemins écartés
Que nous suivions ensemble
Lorsque sans me méfier
Les pieds et poings liés
Je me suis laissé faire
Et je t'ai trahie pour
Une prison d'amour
Et sa belle geĂŽliĂšre
Et je t'ai trahie pour
Une prison d'amour
Et sa belle geĂŽliĂšre
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Georges Moustaki
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Une trĂšs jolie jeune fille, traitĂ©e avec des Ă©gards constants et des attentions dĂ©mesurĂ©es par l'ensemble de la population masculine, y compris par ceux - l'immense majoritĂ© - qui n'ont plus aucun espoir d'en obtenir une faveur d'ordre sexuel, et mĂȘme Ă vrai dire tout particuliĂšrement par eux, avec une Ă©mulation abjecte confinant chez certains quinquagĂ©naires au gĂątisme pur et simple, une trĂšs jolie jeune fille devant qui tous les visages s'ouvrent, toutes les difficultĂ©s s'aplanissent, accueillie partout comme si elle Ă©tait la reine du monde, devient naturellement une espĂšce de monstre d'Ă©goĂŻsme et de vanitĂ© autosatisfaite. La beautĂ© physique joue ici exactement Ie mĂȘme rĂŽle que la noblesse de sang sous l'Ancien RĂ©gime, et la brĂšve conscience qu'elles pourraient prendre Ă l'adolescence de l'origine purement accidentelle de leur rang cĂšde rapidement la place chez la plupart des trĂšs jolies jeunes filles Ă une sensation de supĂ©rioritĂ© innĂ©e, naturelle, instinctive, qui les place entiĂšrement en dehors, et largement au-dessus du reste de l'humanitĂ©. Chacun autour d'elle n'ayant pour objectif que de lui Ă©viter toute peine, et de prĂ©venir Ie moindre de ses dĂ©sirs, c'est tout uniment (sic) qu'une trĂšs jolie jeune fille en vient Ă considĂ©rer Ie reste du monde comme composĂ© d'autant de serviteurs, elle-mĂȘme n'ayant pour seule tĂąche que d'entretenir sa propre valeur Ă©rotique - dans l'attente de rencontrer un garçon digne d'en recevoir l'hommage. La seule chose qui puisse la sauver sur le plan moral, c'est d'avoir la responsabilitĂ© concrĂšte d'un ĂȘtre plus faible, d'ĂȘtre directement et personnellement responsable de la satisfaction de ses besoins physiques, de sa santĂ©, de sa survie - cet ĂȘtre pouvant ĂȘtre un frĂšre ou une soeur plus jeune, un animal domestique, peu importe. (La possibilitĂ© d'une Ăźle, Daniel 1,15)
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Michel Houellebecq
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Ecoute : l'intellectuel essaie de connaĂźtre et de reprĂ©senter au moyen de la logique l'essence du monde. Il sait que notre intelligence et son instrument, la logique, sont des outils imparfaits - tout comme un artiste sensĂ© n'ignore pas que son pinceau ou son ciseau ne pourront jamais exprimer parfaitement la splendeur d'un ange ou d'un saint. Pourtant tous deux essaient, le penseur comme l'artiste, chacun Ă sa maniĂšre. Ils ne peuvent pas faire autrement, ils n'en ont pas le droit. Car un ĂȘtre humain s'acquitte de sa tĂąche la plus haute, la plus normale, en cherchant Ă mettre en valeur les dons qu'il a reçus de la nature. [...] Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n'y a pas pour nous de perfection, pas d'ĂȘtre absolu. Mais lĂ oĂč nous passons de la puissance Ă l'acte, de la possibilitĂ© Ă la rĂ©alisation, nous avons part Ă l'ĂȘtre vĂ©ritable, nous nous rapprochons d'un pas du divin et de la perfection. Se rĂ©aliser, c'est cela. (p. 309-310)
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Hermann Hesse (Narcissus and Goldmund)
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Patrice a vingt-quatre ans et, la premiĂšre fois que je lâai vu, il Ă©tait dans son fauteuil inclinĂ© trĂšs en arriĂšre. Il a eu un accident vasculaire cĂ©rĂ©bral. Physiquement, il est incapable du moindre mouvement, des pieds jusquâĂ la racine des cheveux. Comme on le dit souvent dâune maniĂšre trĂšs laide, il a lâaspect dâun lĂ©gume : bouche de travers, regard fixe. Tu peux lui parler, le toucher, il reste immobile, sans rĂ©action, comme sâil Ă©tait complĂštement coupĂ© du monde. On appelle ça le locked in syndrome.Quand tu le vois comme ça, tu ne peux quâimaginer que lâensemble de son cerveau est dans le mĂȘme Ă©tat. Pourtant il entend, voit et comprend parfaitement tout ce qui se passe autour de lui. On le sait, car il est capable de communiquer Ă lâaide du seul muscle qui fonctionne encore chez lui : le muscle de la paupiĂšre. Il peut cligner de lâĆil. Pour lâaider Ă sâexprimer, son interlocuteur lui propose oralement des lettres de lâalphabet et, quand la bonne lettre est prononcĂ©e, Patrice cligne de lâĆil.
 Lorsque jâĂ©tais en rĂ©animation, que jâĂ©tais complĂštement paralysĂ© et que jâavais des tuyaux plein la bouche, je procĂ©dais de la mĂȘme maniĂšre avec mes proches pour pouvoir communiquer. Nous nâĂ©tions pas trĂšs au point et il nous fallait parfois un bon quart dâheure pour dicter trois pauvres mots.
Au fil des mois, Patrice et son entourage ont perfectionnĂ© la technique. Une fois, il mâest arrivĂ© dâassister Ă une discussion entre Patrice et sa mĂšre. Câest trĂšs impressionnant.La mĂšre demande dâabord : « Consonne ? » Patrice acquiesce dâun clignement de paupiĂšre. Elle lui propose diffĂ©rentes consonnes, pas forcĂ©ment dans lâordre alphabĂ©tique, mais dans lâordre des consonnes les plus utilisĂ©es. DĂšs quâelle cite la lettre que veut Patrice, il cligne de lâĆil. La mĂšre poursuit avec une voyelle et ainsi de suite. Souvent, au bout de deux ou trois lettres trouvĂ©es, elle anticipe le mot pour gagner du temps. Elle se trompe rarement. Cinq ou six mots sont ainsi trouvĂ©s chaque minute.Â
Câest avec cette technique que Patrice a Ă©crit un texte, une sorte de longue lettre Ă tous ceux qui sont amenĂ©s Ă le croiser. Jâai eu la chance de lire ce texte oĂč il raconte ce qui lui est arrivĂ© et comment il se sent. Ă cette lecture, jâai pris une Ă©norme gifle. Câest un texte brillant, Ă©crit dans un français subtil, lĂ©ger malgrĂ© la tragĂ©die du sujet, rempli dâhumour et dâautodĂ©rision par rapport Ă lâĂ©tat de son auteur. Il explique quâil y a de la vie autour de lui, mais quâil y en a aussi en lui. Câest juste la jonction entre les deux mondes qui est un peu compliquĂ©e.Jamais je nâaurais imaginĂ© que ce texte si puissant ait Ă©tĂ© Ă©crit par ce garçon immobile, au regard entiĂšrement vide.
 Avec lâexpĂ©rience acquise ces derniers mois, je pensais ĂȘtre capable de diagnostiquer lâĂ©tat des uns et des autres seulement en les croisant ; jâai reçu une belle leçon grĂące Ă Patrice.Une leçon de courage dâabord, Ă©tant donnĂ© la vitalitĂ© des propos que jâai lus dans sa lettre, et, aussi, une leçon sur mes a priori.
Plus jamais dorénavant je ne jugerai une personne handicapée à la vue seule de son physique.
Câest jamais inintĂ©ressant de prendre une bonne claque sur ses propres idĂ©es reçues .
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Grand corps malade (Patients)
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Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'Ă©tait hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'Ă©tait hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cĆur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble.
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Louis Aragon (Le fou d'Elsa)
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Une cellule du foi cancereuse produit en permanence des morceaux de foie sans tenir compte des autres cellules qui lui disent que ce n'est plus nĂ©cessaire. La cellule cancĂ©reuse a pour ambition de retrouver cette ancienne immortalitĂ©, et c'est pour cela qu'elle tue l'ensemble de l'organisme, un peu comme ces gens qui parlent tout seuls en permanence sans rien Ă©couter autour d'eux. La cellule cancĂ©reuse est une cellule autiste et c'est pour cela qu'elle est dangereuse. Elle se reproduit sans cesse sans tenir compte des autres, et, dans sa quĂȘte folle d'immortalitĂ©, elle finit par tout tuer autour d'elle.
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Bernard Werber (La Trilogie des Fourmis)
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Cette trop grande confiance dans les théories, qui cause tout le mal, vient souvent d'une mauvaise éducation scientifique, dont le savant doit ensuite se corriger. Mieux vaudrait souvent qu'il fût ignorant. Il n'a plus l'esprit libre ; il est enchaßné par des théories qu'il regarde comme vraies absolument. Un des plus grands écueils que rencontre l'expérimentateur, c'est donc d'accorder trop de confiance aux théories. Ce sont les gens que J'appellerai des systématiques.
L'enseignement contribue beaucoup Ă produire ce rĂ©sultat. Il arrive gĂ©nĂ©ralement que dans les livres et dans les cours on rend la science plus claire qu'elle n'est en rĂ©alitĂ©. C'est mĂȘme lĂ le mĂ©rite d'un enseignement de facultĂ© de prĂ©senter la science avec un ensemble systĂ©matique dans lequel on dissimule les lacunes pour ne pas rebuter les commençants dans la science. Or, les Ă©lĂšves prennent le goĂ»t des systĂšmes qui sont plus clairs et plus simples pour l'esprit, parce qu'on a simplifiĂ© sa science et Ă©laguĂ© tout ce qui Ă©tait obscur, et ils emportent de lĂ l'idĂ©e fausse que les thĂ©ories de la science sont dĂ©finitives et qu'elles reprĂ©sentent des principes absolus dont tous les faits se dĂ©duisent. C'est en effet ainsi qu'on les prĂ©sente systĂ©matiquement.
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Claude Bernard (Principes de Médecine expérimentale (French Edition))
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Maintenant, depuis quand lâhorreur exclut-elle lâĂ©tude ? depuis quand la maladie chasse-t-elle le mĂ©decin ? Se figure-t-on un naturaliste qui refuserait dâĂ©tudier la vipĂšre, la chauve-souris, le scorpion, la scolopendre, la tarentule, et qui les rejetterait dans leurs tĂ©nĂšbres en disant : Oh ! que câest laid ! Le penseur qui se dĂ©tournerait de lâargot ressemblerait Ă un chirurgien qui se dĂ©tournerait dâun ulcĂšre ou dâune verrue. Ce serait un philologue hĂ©sitant Ă examiner un fait de la langue, un philosophe hĂ©sitant Ă scruter un fait de lâhumanitĂ©. Car, il faut bien le dire Ă ceux qui lâignorent, lâargot est tout ensemble un phĂ©nomĂšne littĂ©raire et un rĂ©sultat social. Quâest-ce que lâargot proprement dit ? Lâargot est la langue de la misĂšre.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Dans lâordre Ă©conomique ordinaire, lâindividu produit comme Ă©lĂ©ment de production, il consomme comme Ă©lĂ©ment de consommation, mais il se noie dans la statistique, il se noie dans les lois du grand nombre. Les rĂ©sultats Ă©conomiques sont les rĂ©sultats qui font disparaĂźtre lâindividu devant les chiffres, devant les nombres qui sont fournis. Câest ce quâon appelle la statistique. Lâindividu sâefface, il ne reste que lâensemble des phĂ©nomĂšnes quâon peut rĂ©diger sous forme de lois.
Dans lâordre intellectuel, il nâen est pas tout Ă fait ainsi. Câest prĂ©cisĂ©ment Ă quoi je faisais allusion quand je parlais tout Ă lâheure des crĂ©ateurs, ces gens particuliers qui jouent un rĂŽle essentiel, et en somme un rĂŽle tout Ă fait personnel, individuel. Câest la valeur personnelle qui est en cause.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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S'il m'arrive de perdre une nuit qui aurait pu ĂȘtre consacrĂ©e au sommeil, au plaisir, ou tout simplement Ă la solitude, Ă causer sur la terrasse d'un cafĂ© avec des intellectuels atteints de dĂ©sespoir, je les Ă©tonne toujours en leur affirmant que j'ai connu le bonheur, le vrai, l'authentique, la piĂšce d'or inaltĂ©rable qu'on peut Ă©changer contre une poignĂ©e de gros sous ou contre une liasse de marks d'aprĂšs-guerre, mais qui n'en demeure pas moins semblable Ă elle-mĂȘme, et qu'aucune dĂ©valuation n'atteint. Le souvenir d'un d'un tel Ă©tat de choses guĂ©rit de la philosophie allemande ; il aide Ă simplifier la vie, et aussi son contraire. Et si ce bonheur Ă©manait de Conrad, ou seulement de ma jeunesse, c'est ce qui importe peu, puisque ma jeunesse et Conrad sont morts ensemble. (p. 145)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
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Jâavais envie de partager un rĂȘve avec vous.
Jâaime Ă croire quâun jour, nous saurons marcher les uns avec les autres. Je me suis dit que si chacun donnait la main Ă quelquâun dâautre, alors ensemble, nous pourrions faire de ce monde un lieu meilleur oĂč il fait bon vivre dans une douce harmonie.
Jâai besoin de vous pour que ce rĂȘve devienne notre rĂ©alitĂ©. Si vous croyez comme moi que le bonheur est un choix, alors il est de notre responsabilitĂ© dâaider ceux quâon aime Ă se rĂ©aliser! Prenez quelquâun par la main et enseignez-lui lâAmour, devenez son «Shanti», aidez-le Ă trouver son chemin et proposez-lui de tenir la main dâune autre personne en ne lĂąchant plus jamais la sienne.
TrĂšs vite, nos mains se relieront autour de la Terre pour faire de cette planĂšte lâĆuvre que nous aurons rĂ©alisĂ©e.
Nâessayez pas de convaincre les autres, montrez-leur lâexemple, inspirez-les, câest en rayonnant que votre lumiĂšre guidera leurs pasâŠ
Avec tout mon amour.
Maud
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Maud Ankaoua (KilomÚtre zéro)
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On ne peut pas dire que le petit bourgeois n'a rien lu. Il a tout lu, tout dévoré au contraire.
Seulement son cerveau fonctionne à la maniÚre de certains appareils digestifs de type élémentaire.
Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise.
Les Vietnamiens, avant l'arrivée des Français dans leur pays, étaient gens de culture vieille, exquise et raffinée. Ce rappel indispose la Banque d'Indochine. Faites fonctionner l'oublioir !
Ces Malgaches, que l'on torture aujourd'hui, Ă©taient, il y a moins d'un siĂšcle, des poĂštes, des artistes, des administrateurs ? Chut ! Bouche cousue ! Et le silence se fait profond comme un coffre-fort ! Heureusement qu'il reste les nĂšgres. Ah ! les nĂšgres ! parlons-en des nĂšgres !
Eh bien, oui, parlons-en.
Des empires soudanais ? Des bronzes du Bénin ? De la sculpture Shongo ? Je veux bien ; ça nous changera de tant de sensationnels navets qui adornent tant de capitales européennes. De la musique africaine. Pourquoi pas?
Et de ce qu'ont dit, de ce qu'ont vu les premiers explorateurs... Pas de ceux qui mangent aux rùteliers des Compagnies ! Mais des d'Elbée, des Marchais, des Pigafetta ! Et puis de Frobénius ! Hein, vous savez qui c'est, Frobénius ? Et nous lisons ensemble :
« Civilisés jusqu'à la moelle des os ! L'idée du nÚgre barbare est une invention européenne. »
Le petit bourgeois ne veut plus rien entendre. D'un battement d'oreilles, il chasse l'idée.
L'idée, la mouche importune.
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Aimé Césaire (Discourse on Colonialism)
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En finir avec le systĂšme capitaliste ne saurait en aucun cas se rĂ©duire Ă un changement dans le rĂ©gime de propriĂ©tĂ© des moyens de production, Ă la planification de l'Ă©conomie ou Ă une rĂ©partition plus juste des bĂ©nĂ©fices de celle-ci. Cela ne peut signifier autre chose que l'abolition de la valeur et de son Ă©crasante prĂ©dominance tant dans l'ordre Ă©conomique que dans l'ensemble de la vie sociale et subjective. Prendre pleinement la mesure de ce qu'implique l'abolition de la valeur (c'est-Ă -dire aussi de la prĂ©Ă©minence du travail abstrait) n'a rien d'aisĂ©. Mais du moins est-il clair que cela - et cela seul - Ă©quivaut Ă la destruction du moteur mĂȘme de la folle mĂ©canique du productivisme capitaliste, Ă savoir la force incontrĂŽlable qui oblige Ă produire sans cesse davantage sous l'effete de la seule nĂ©cessitĂ© de l'expansion de la valeur. Une fois Ă©liminĂ©e cette compulsion mortifĂšre de la production-pour-la-production-et-pour-le-profit, les producteurs (qu'il conviendrait de ne plus qualifier par ce terme) retrouveront la pleine maĂźtrise de la crĂ©ation de valeurs d'usage, rĂ©alisĂ©e sur la base e choix arrĂȘtĂ©s et assumĂ©s collectivement (tandis que l'autoproduction inscrite dans le temps disponible relĂšvera de l'entiĂšre libertĂ© de chacun). Plus profondĂ©ment, cela signifie que la production de biens et de services (qu'il serait souhaitable de nommer autrement), tout en demeurant la base nĂ©cessaire Ă la vie, cessera d'ĂȘtre la sphĂšre centrale et dĂ©terminante de l'organisation collective, comme elle l'est, de maniĂšre trĂšs spĂ©cifique, dans la justement nommĂ©e sociĂ©tĂ© de la marchandise. (p. 115)
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JĂ©rĂŽme Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
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TOUZENBACH
Si vous voulez. De quoi parlerons-nous ?
VERCHININE
De quoi ? RĂȘvons ensemble... par exemple de la vie telle quâelle sera aprĂšs nous, dans deux ou trois cents ans.
TOUZENBACH
Eh bien, aprĂšs nous on sâenvolera en ballon, on changera la coupe des vestons, on dĂ©couvrira peut-ĂȘtre un sixiĂšme sens, quâon dĂ©veloppera, mais la vie restera la mĂȘme, un vie difficile, pleine de mystĂšre, et heureuse. Et dans mille ans, lâhomme soupirera comme aujourdâhui : « Ah ! quâil est difficile de vivre ! » Et il aura toujours peur de la mort et ne voudra pas mourir.
VERCHININE, aprÚs avoir réfléchi.
Comment vous expliquer ? Il me semble que tout va se transformer peu Ă peu, que le changement sâaccomplit dĂ©jĂ , sous nos yeux. Dans deux ou trois cents ans, dans mille ans peut-ĂȘtre, peu importe le dĂ©lai, sâĂ©tablira une vie nouvelle, heureuse. Bien sĂ»r, nous ne serons plus lĂ , mais câest pour cela que nous vivons, travaillons, souffrons enfin, câest nous qui la crĂ©ons, câest mĂȘme le seul but de notre existence, et si vous voulez, de notre bonheur.
Macha rit doucement.
TOUZENBACH
Pourquoi riez-vous ?
MACHA
Je ne sais pas. Je ris depuis ce matin.
VERCHININE
Jâai fait les mĂȘmes Ă©tudes que vous, je nâai pas Ă©tĂ© Ă lâAcadĂ©mie militaire. Je lis beaucoup, mais je ne sais pas choisir mes lectures, peut-ĂȘtre devrais-je lire tout autre chose ; et cependant, plus je vis, plus jâai envie de savoir. Mes cheveux blanchissent, bientĂŽt je serai vieux, et je ne sais que peu, oh ! trĂšs peu de chose. Pourtant, il me semble que je sais lâessentiel, et que je le sais avec certitude. Comme je voudrais vous prouver quâil nây a pas, quâil ne doit pas y avoir de bonheur pour nous, que nous ne le connaĂźtrons jamais... Pour nous, il nây a que le travail, rien que le travail, le bonheur, il sera pour nos lointains descendants. (Un temps.) Le bonheur nâest pas pour moi, mais pour les enfants de mes enfants.
TOUZENBACH
Alors, dâaprĂšs vous, il ne faut mĂȘme pas rĂȘver au bonheur ? Mais si je suis heureux ?
VERCHININE
Non.
TOUZENBACH, joignant les mains et riant.
Visiblement, nous ne nous comprenons pas. Comment vous convaincre ? (Macha rit doucement. Il lui montre son index.) Eh bien, riez ! (Ă Verchinine :) Non seulement dans deux ou trois cents ans, mais dans un million dâannĂ©es, la vie sera encore la mĂȘme ; elle ne change pas, elle est immuable, conforme Ă ses propres lois, qui ne nous concernent pas, ou dont nous ne saurons jamais rien. Les oiseaux migrateurs, les cigognes, par exemple, doivent voler, et quelles que soient les pensĂ©es, sublimes ou insignifiantes, qui leur passent par la tĂȘte, elles volent sans relĂąche, sans savoir pourquoi, ni oĂč elles vont. Elles volent et voleront, quels que soient les philosophes quâil pourrait y avoir parmi elles ; elles peuvent toujours philosopher, si ça les amuse, pourvu quâelles volent...
MACHA
Tout de mĂȘme, quel est le sens de tout cela ?
TOUZENBACH
Le sens... VoilĂ , il neige. OĂč est le sens ?
MACHA
Il me semble que lâhomme doit avoir une foi, du moins en chercher une, sinon sa vie est complĂštement vide... Vivre et ignorer pourquoi les cigognes volent, pourquoi les enfants naissent, pourquoi il y a des Ă©toiles au ciel... Il faut savoir pourquoi lâon vit, ou alors tout nâest que balivernes et foutaises.
Comme dit Gogol : « Il est ennuyeux de vivre en ce monde, messieurs. »
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Anton Chekhov (The Three Sisters)
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Le Dieu du thĂ©isme thĂ©ologique est un ĂȘtre Ă cĂŽtĂ© des autres et, comme tel, une partie de l'ensemble de la rĂ©alitĂ©. On le considĂšre certes comme Ă©tant la partie la plus importante mais nĂ©anmoins comme une partie et, Ă ce titre, comme soumis Ă la structure de la totalitĂ©. On le pense bien sĂ»r comme Ă©tant au-delĂ des Ă©lĂ©ments ontologiques et des catĂ©gories qui constituent la rĂ©alitĂ©, et pourtant tout Ă©noncĂ© Ă son sujet le soumet Ă ces derniers. On en vient Ă le voir comme un soi qui a un monde, comme un je qui est reliĂ© Ă un tu, comme une cause qui est sĂ©parĂ©e de son effet, comme possĂ©dant un espace dĂ©fini et un temps sans fin. Il est donc un ĂȘtre, non l'ĂȘtre-mĂȘme. Comme tel, il est assujetti Ă la structure sujet-objet de la rĂ©alitĂ© ; il est un objet pour nous en tant que nous sommes des sujets. En mĂȘme temps, nous sommes des objets pour lui en tant qu'il est un sujet. Il s'agit lĂ d'un aspect dĂ©cisif en ce qui concerne la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de dĂ©passer le thĂ©isme thĂ©ologique, car un tel Dieu perçu comme sujet fait de moi un objet et, rien de plus. Il me dĂ©pouille de ma subjectivitĂ© parce qu'il est tout-puissant et omniscient. Je me rĂ©volte alors et tente de ·faire de lui un objet, mais la rĂ©volte Ă©choue et devient dĂ©sespĂ©rĂ©e. Dieu apparaĂźt comme le tyran invincible, l'ĂȘtre en comparaison duquel tous les autres ĂȘtres sont sans libertĂ© ni subjectivitĂ©. Comparable en quelque sorte Ă ces tyrans rĂ©cents qui, utilisant la terreur, s'efforcent de tout transformer en pur objet, en chose parmi les choses, en rouage de la machine qu'ils dirigent, un tel Dieu devient le modĂšle de tout ce contre quoi l'existentialisme s'est rĂ©voltĂ©. C'est le Dieu dont Nietzsche disait qu'il faut le tuer parce que personne ne peut tolĂ©rer d'ĂȘtre transformĂ© purement et simplement en objet de connaissance et de domination absolues. LĂ se trouve Ă©galement la racine la plus profonde de l'athĂ©isme. C'est un athĂ©isme qui se justifie comme rĂ©action contre le thĂ©isme thĂ©ologique et ses consĂ©quences inquiĂ©tantes. LĂ se trouve Ă©galement la racine la plus profonde du dĂ©sespoir existentialiste et de l'angoisse de l'absurde largement rĂ©pandue Ă notre Ă©poque.
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Paul Tillich (Le Courage dâĂȘtre)
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Si lâhumanitĂ© sâest Ă©cartĂ©e des conditions initiales dont je parlais, si elle a renoncĂ©, sans le savoir et sans le vouloir, Ă la stabilitĂ© Ă laquelle elle pouvait tendre, on pouvait supposer quâĂ©tant arrivĂ©e Ă un certain niveau, elle sây serait stabilisĂ©e, comme les abeilles ont pu se stabiliser (elles ont trouvĂ© certains procĂ©dĂ©s de construction, dâaccumulation des rĂ©serves), et demeurer en cet Ă©tat indĂ©finiment, comme il semble que les abeilles y soient demeurĂ©es, nous aurions pu arriver Ă concevoir une humanitĂ© comme une fourmiliĂšre ou une ruche dâabeilles. Pas du tout. Elle nâa cessĂ© de sâĂ©carter de son bien-ĂȘtre, le bien-ĂȘtre nâa pas suffi Ă lâhumanitĂ©. HĂ©las ! dans bien des cas on pourrait se lamenter Ă ce sujet et pleurer, mais il sâest trouvĂ© toujours que les hommes se soient Ă©cartĂ©s de la norme dĂ©jĂ Ă©tablie, que des hommes, des penseurs par exemple aient spĂ©culĂ© assez pour trouver que la stabilitĂ© acquise Ă©tait une stabilitĂ© insuffisante, trĂšs insuffisante. Câest pourquoi jâai pu prononcer dans ma derniĂšre leçon ce mot de lâaventure qui mâa paru rĂ©sumer la vie humaine dans son ensemble.
Lâaventure... câest-Ă -dire ce fait quâil y a eu un changement qui a toujours etendu Ă repousser, Ă nier, Ă ruiner les conditions dâexistence, mĂȘme favorables, mĂȘme satisfaisantes pour la majoritĂ© des individus, et qui a tendu Ă dĂ©truire cet ordre-lĂ , Ă le renverser.
Jâavais associĂ© Ă ce mot-lĂ le mot le plus connu de progrĂšs, mais je prĂ©fĂšre celui dâaventure, et je vais vous dire pourquoi le terme de progrĂšs, que jâai essayĂ© de prĂ©ciser en le ramenant Ă ce qui est observable, progrĂšs que jâai dĂ©fini par lâaccroissement de prĂ©cision dans les mesures marquĂ©es par les dĂ©cimales quâon peut calculer et observer : progrĂšs dans lâacquisition des moyens dâaction, progrĂšs de puissance mĂ©canique, nombre de chevaux-vapeur par tĂȘte Ă telle Ă©poque, progrĂšs dans les automatismes sociaux, par consĂ©quent progrĂšs qui permet de commander beaucoup plus dâĂ©lĂ©ments humains ou matĂ©riels Ă lâaide dâun plus petit effort, diminution de lâeffort Ă accomplir. Tout ceci est parfaitement observable, ce ne sont pas des chimĂšres. On a ajoutĂ© Ă cela une vĂ©ritable religion du progrĂšs, qui fait croire que, quoi quâil en soit aprĂšs bien des aventures, beaucoup dâexpĂ©riences, lâhumanitĂ© marche toujours vers une amĂ©lioration de son sort.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă fait Ă©trangĂšre Ă mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Wilhelm, on deviendrait furieux de voir quâil y ait des hommes incapables de goĂ»ter et de sentir le peu de biens qui ont encore quelque valeur sur la terre. Tu connais les noyers sous lesquels je me .suis assis avec Charlotte, Ă StâŠ, chez le bon pasteur, ces magnifiques noyers, qui, Dieu le sait, me remplissaient toujours dâune joie calme et profonde. Quelle paix, quelle fraĂźcheur ils rĂ©pandaient sur le presbytĂšre ! Que les rameaux Ă©taient majestueux ! Et le souvenir enfin des vĂ©nĂ©rables pasteurs qui les avaient plantĂ©s, tant dâannĂ©es auparavant !⊠Le maĂźtre dâĂ©cole nous a dit souvent le nom de lâun dâeux, quâil avait appris de son grand-pĂšre. Ce fut sans doute un homme vertueux, et, sous ces arbres, sa mĂ©moire me fut toujours sacrĂ©e. Eh bien, le maĂźtre dâĂ©cole avait hier les larmes aux yeux, comme nous parlions ensemble de ce quâon les avait abattus. Abattus ! jâen suis furieux, je pourrais tuer le chien qui a portĂ© le premier coup de hache. Moi, qui serais capable de prendre le deuil, si, dâune couple dâarbres tels que ceux-lĂ , qui auraient existĂ© dans ma cour, lâun venait Ă mourir de vieillesse, il faut que je voie une chose pareille !⊠Cher Wilhelm, il y a cependant une compensation. Chose admirable que lâhumanitĂ© ! Tout le village murmure, et jâespĂšre que la femme du pasteur sâapercevra au beurre, aux Ćufs et autres marques dâamitiĂ©, de la blessure quâelle a faite Ă sa paroisse. Car câest elle, la femme du nouveau pasteur (notre vieux est mort), une personne sĂšche, maladive, qui fait bien de ne prendre au monde aucun intĂ©rĂȘt, attendu que personne nâen prend Ă elle. Une folle, qui se pique dâĂȘtre savante ; qui se mĂȘle de lâĂ©tude du canon ; qui travaille Ă©normĂ©ment Ă la nouvelle rĂ©formation morale et critique du christianisme ; Ă qui les rĂȘveries de Lavater font lever les Ă©paules ; dont la santĂ© est tout Ă fait dĂ©labrĂ©e, et qui ne goĂ»te, par consĂ©quent, aucune joie sur la terre de Dieu ! Une pareille crĂ©ature Ă©tait seule capable de faire abattre mes noyers. Vois-tu, je nâen reviens pas. Figure-toi que les feuilles tombĂ©es lui rendent la cour humide et malpropre ; les arbres interceptent le jour Ă madame, et, quand les noix sont mĂ»res, les enfants y jettent des pierres, et cela lui donne sur les nerfs, la trouble dans ses profondes mĂ©ditations, lorsquâelle pĂšse et met en parallĂšle Kennikot, Semler et MichaĂ«lis. Quand jâai vu les gens du village, surtout les vieux, si mĂ©contents, je leur ai dit : « Pourquoi lâavez-vous souffert ?â A la campagne, mâontils rĂ©pondu, quand le maire veut quelque chose, que peut-on /aire ? * Mais voici une bonne aventure. : le- pasteur espĂ©rait aussi tirer quelque avantage des caprices de sa femme, qui dâordinaire ne rendent pas sa soupe plus grasse, et il croyait partager le produit avec le maire ; la chambre des domaines en fut avertie et dit : « A moi, sâil vous plaĂźt ! » car elle avait dâanciennes prĂ©tentions sur la partie du presbytĂšre oĂč les arbres Ă©taient plantĂ©s, et elle les a vendus aux enchĂšres. Ils sont Ă bas ! Oh ! si jâĂ©tais prince, la femme du pasteur, le maire, la chambre des domaines, apprendraientâŠ. Prince !⊠Eh ! si jâĂ©tais prince, que mâimporteraient les arbres de mon pays ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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JULIETTE.âOh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă la terre; que tout mouvement sâarrĂȘte, et quâune mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi.
LA NOURRICE.âO Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que jâeusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que jâaie vĂ©cu pour te voir mort!
JULIETTE.âQuelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ sont morts?
LA NOURRICE.âTybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui lâa tuĂ©, est banni.
JULIETTE.âO Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt?
LA NOURRICE.âIl lâa fait, il lâa fait! O jour de malheur! il lâa fait!
JULIETTE.âO coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes dâune colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă juste titre, damnable saint, traĂźtre plein dâhonneur! O nature, quâallais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de lâĂąme dâun dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais?
LA NOURRICE.âIl nây a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu dâaqua vitĂŠâŠ.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă RomĂ©o!
JULIETTE.âMaudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il nâest pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de sâasseoir sur son front; câest un trĂŽne oĂč on peut couronner lâhonneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me lâa fait maltraiter ainsi?
LA NOURRICE.âQuoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin?
JULIETTE.âEh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je lâai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.âRentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; câest au malheur quâappartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! câest quâil y a lĂ un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui mâa assassinĂ©e.âJe voudrais bien lâoublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur lâĂąme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o estâŠ.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă marcher ensemble, et quâil faille nĂ©cessairement que dâautres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs mâavoir dit: «Tybalt est mort,» nâa-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il nây a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort quâapporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Rhinocéros , EugÚne Ionesco
Le Vieux Monsieur et le Logicien vont sâasseoir Ă lâune des tables de la terrasse, un peu Ă droite et derriĂšre Jean et BĂ©renger.
BĂ©renger, Ă Jean : Vous avez de la force.
Jean : Oui, jâai de la force, jâai de la force pour plusieurs raisons. Dâabord, jâai de la force parce que jâai de la force, ensuite jâai de la force parce que jâai de la force morale. Jâai aussi de la force parce que je ne suis pas alcoolisĂ©. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que câest lâalcool qui pĂšse en rĂ©alitĂ©.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Mon chien aussi a quatre pattes.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Alors câest un chat.
BĂ©renger, Ă Jean : Moi, jâai Ă peine la force de vivre. Je nâen ai plus envie peut-ĂȘtre.
Le Vieux Monsieur, au Logicien aprÚs avoir longuement réfléchi : Donc logiquement mon chien serait un chat.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.
Bérenger, à Jean : La solitude me pÚse. La société aussi.
Jean, Ă BĂ©renger : Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pĂšse, ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur et vous nâavez aucune logique.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Câest trĂšs beau la logique.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : A condition de ne pas en abuser.
BĂ©renger, Ă Jean : Câest une chose anormale de vivre.
Jean : Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.
BĂ©renger : Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.
Jean : Les morts, ca nâexiste pas, câest le cas de le dire !⊠Ah ! ah !⊠(Gros rire) Ceux-lĂ aussi vous pĂšsent ? Comment peuvent peser des choses qui nâexistent pas ?
BĂ©renger: Je me demande moi-mĂȘme si jâexiste !
Jean, Ă BĂ©renger : Vous nâexistez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.
Le Vieux Monsieur : Et il a quatre pattes. Câest vrai, jâai un chat qui sâappelle Socrate.
Le Logicien : Vous voyezâŠ
Jean, Ă BĂ©renger : Vous ĂȘtes un farceur, dans le fond. Un menteur. Vous dites que la vie ne vous intĂ©resse pas. Quelquâun, cependant, vous intĂ©resse !
BĂ©renger : Qui ?
Jean : Votre petite camarade de bureau, qui vient de passer. Vous en ĂȘtes amoureux !
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Socrate Ă©tait donc un chat !
Le Logicien : La logique vient de nous le révéler.
Jean : Vous ne vouliez pas quâelle vous voie dans le triste Ă©tat oĂč vous vous trouviez. Cela prouve que tout ne vous est pas indiffĂ©rent. Mais comment voulez-vous que Daisy soit sĂ©duite par un ivrogne ?
Le Logicien : Revenons Ă nos chats.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Je vous Ă©coute.
BĂ©renger, Ă Jean : De toute façon, je crois quâelle a dĂ©jĂ quelquâun en vue.
Jean, Ă BĂ©renger : Qui donc ?
BĂ©renger, Ă Jean : Dudard. Un collĂšgue du bureau : licenciĂ© en droit, juriste, grand avenir dans la maison, de lâavenir dans le cĆur de Daisy, je ne peux pas rivaliser avec lui.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Le chat Isidore a quatre pattes.
Le Vieux Monsieur : Comment le savez-vous ?
Le Logicien : Câest donnĂ© par hypothĂšse.
BĂ©renger, Ă Jean : Il est bien vu par le chef. Moi, je nâai pas dâavenir, pas fait dâĂ©tudes, je nâai aucune chance.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ah ! par hypothĂšse !
Jean, Ă BĂ©renger : Et vous renoncez, comme celaâŠ
BĂ©renger, Ă Jean : Que pourrais-je faire ?
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Fricot aussi a quatre pattes. Combien de pattes auront Fricot et Isidore ?
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ensemble ou séparément ?
Jean, Ă BĂ©renger : La vie est une lutte, câest lĂąche de ne pas combattre !
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EugÚne Ionesco (Rhinocéros)
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II L'Association bretonne. Il est une institution qui distingue la Bretagne des autres provinces et oĂč se rĂ©flĂšte son gĂ©nie, l'Association bretonne. Dans ce pays couvert encore de landes et de terres incultes, et oĂč il reste tant de ruines des anciens Ăąges, des hommes intelligents ont compris que ces deux intĂ©rĂȘts ne devaient pas ĂȘtre sĂ©parĂ©s, les progrĂšs de l'agriculture et l'Ă©tude des monuments de l'histoire locale. Les comices agricoles ne s'occupent que des travaux d'agriculture, les sociĂ©tĂ©s savantes que de l'esprit; l'Association bretonne les a rĂ©unis: elle est Ă la fois une association agricole et une association littĂ©raire. Aux expĂ©riences de l'agriculture, aux recherches archĂ©ologiques, elle donne de la suite et de l'unitĂ©; les efforts ne sont plus isolĂ©s, ils se font avec ensemble; l'Association bretonne continue, au XIXe siĂšcle, l'oeuvre des moines des premiers temps du christianisme dans la Gaule, qui dĂ©frichaient le sol et Ă©clairaient les Ăąmes. Un appel a Ă©tĂ© fait dans les cinq dĂ©partements de la Bretagne Ă tous ceux qui avaient Ă coeur les intĂ©rĂȘts de leur patrie, aux Ă©crivains et aux propriĂ©taires, aux gentilshommes et aux simples paysans, et les adhĂ©sions sont arrivĂ©es de toutes parts. L'Association a deux moyens d'action: un bulletin mensuel, et un congrĂšs annuel. Le bulletin rend compte des travaux des associĂ©s, des expĂ©riences, des essais, des dĂ©couvertes scientifiques; le congrĂšs ouvre des concours, tient des sĂ©ances publiques, distribue des prix et des rĂ©compenses. Afin de faciliter les rĂ©unions et d'en faire profiter tout le pays, le congrĂšs se tient alternativement dans chaque dĂ©partement; une annĂ©e Ă Rennes, une autre Ă Saint-Brieuc, une autre fois Ă VitrĂ© ou Ă Redon; en 1858, il s'est rĂ©uni Ă Quimper. A chaque congrĂšs, des questions nouvelles sont agitĂ©es, discutĂ©es, Ă©claircies[1]: ces savants modestes qui consacrent leurs veilles Ă des recherches longues et pĂ©nibles, sont assurĂ©s que leurs travaux ne seront pas ignorĂ©s; tant d'intelligences vives et distinguĂ©es, qui demeureraient oisives dans le calme des petites villes, voient devant elles un but Ă leurs efforts; la publicitĂ© en est assurĂ©e, ils seront connus et apprĂ©ciĂ©s. D'un bout de la province Ă l'autre, de Rennes Ă Brest, de Nantes Ă Saint-Malo, on se communique ses oeuvres et ses plans; tel antiquaire, Ă Saint-Brieuc, s'occupe des mĂȘmes recherches qu'un autre Ă Quimper: il est un jour dans l'annĂ©e oĂč ils se retrouvent, oĂč se resserrent les liens d'Ă©tudes et d'amitiĂ©. [Note 1: Voir l'Appendice.] Le congrĂšs est un centre moral et intellectuel, bien plus, un centre national: ces congrĂšs sont de vĂ©ritables assises bretonnes; ils remplacent les anciens Ătats: on y voit rĂ©unis, comme aux Ătats, les trois ordres, le clergĂ©, la noblesse et le tiers-Ă©tat, le tiers-Ă©tat plus nombreux qu'avant la RĂ©volution, et de plus, mĂȘlĂ©s aux nobles et aux bourgeois, les paysans. La Bretagne est une des provinces de France oĂč les propriĂ©taires vivent le plus sur leurs terres; beaucoup y passent l'annĂ©e tout entiĂšre. De lĂ une communautĂ© d'habitudes, un Ă©change de services, des relations plus familiĂšres et plus intimes, qui n'ĂŽtent rien au respect d'une part, Ă la dignitĂ© de l'autre. PropriĂ©taires et fermiers, rĂ©unis au congrĂšs, sont soumis aux mĂȘmes conditions et jugĂ©s par les mĂȘmes lois; souvent le propriĂ©taire concourt avec son fermier. Dans ces mĂȘlĂ©es animĂ©es, oĂč l'on se communique ses procĂ©dĂ©s, oĂč l'on s'aide de ses conseils, oĂč l'on distribue des prix et des encouragements, les riches propriĂ©taires et les nobles traitent les paysans sur le pied de l'Ă©galitĂ©; ici, la supĂ©rioritĂ© est au plus habile: c'est un paysan, GuĂ©venoux, qui, en 1857, eut les honneurs du congrĂšs de Redon. Voici quatorze ans que l'Association bretonne existe; l'ardeur a toujours Ă©tĂ© en croissant; les congrĂšs sont devenus des solennitĂ©s: on y vient de tous les points
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Anonymous
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Tout le monde a l'air de savoir qui sont ces Autres ; tout le monde parle d'eux, mais eux ne parlent jamais.
En effet, dans quels discours apparaĂźtre l'Autre, sous sas forme singuliĂšre ou plurielle ? Sous la forme d'un discours adressĂ© Ă des gens qui ne sont pas les Autres. Mais d'oĂč viennent ces Autres ? Y a-t-il des Autres, et si oui, pourquoi ? Il faut, pour Ă©claircir ce mystĂšre, en revenir Ă l'invite. Qui est invitĂ© Ă accepter les Autres ? Pas les Autres, Ă©videmment. Et qui fait cette demande ? De son Ă©nonciateur, qui ne dit pas son nom, tout ce qu'on sait, c'est qu'il n'est pas un Autre. Ce n'est pas lui-mĂȘme qu'il nous invite Ă accepter. Mais pas plus qu'il ne dit qui il est, il n'Ă©nonce qui est ce « Nous » Ă qui il s'adresse. DerriĂšre l'Autre dont on entend parler sans arrĂȘt, sans qu'il parle, se cache donc une autre personne, qui parle tout le temps sans qu'on n'en entende jamais parler : l'« Un », qui parle à « Nous ». C'est-Ă -dire Ă l'ensemble de la sociĂ©tĂ© de la part de l'ensemble de la sociĂ©tĂ©. De la sociĂ©tĂ© normale. De la sociĂ©tĂ© lĂ©gitime. De celle qui est l'Ă©gale du locuteur qui nous invite Ă tolĂ©rer les Autres. Les Autres ne sont pas, par dĂ©finition, des gens ordinaires, puisqu'ils ne sont pas « Nous ». Qui est ce « Un » parlant ? Avant toute autre chose, on sait, parce qu'il le fait, qu'il est celui qui peut dĂ©finir l'Autre. Ensuite, il prendra une position de tolĂ©rance ou d'intolĂ©rance. Mais cette prise de position est seconde par rapport Ă sa capacitĂ© Ă dĂ©finir l'Autre : Ă ce pouvoir. Les Autres sont donc ceux qui sont dans la situation d'ĂȘtre dĂ©finis comme acceptables ou rejetables, et d'abord d'ĂȘtre nommĂ©s.
Au principe, Ă l'origine de l'existence des Uns et des Autres, il y adonc le pouvoir, simple, brut, tout nu, qui n'a pas Ă se faire ou Ă advenir, qui est. (p. 18-19)
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Christine Delphy (Classer, dominer: Qui sont les "autres" ? (French Edition))
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« Tout est soumis au roi de toutes choses. C'est par lui que l'ensemble de l'univers existe : il est l'auteur de tout bien. Les choses qui tiennent le second rang relÚvent du second ; les troisiÚmes du troisiÚme; »
je ne puis voir dans ces paroles que l'énonciation du mystÚre de la sainte Trinité; le troisiÚme désigne le Saint-Esprit, et le second représente le Fils par lequel tout s'exécute d'aprÚs la volonté du PÚre.
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Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
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MARIE-LOUISE. [âŠ] Jâai lu dans le SĂ©lection, lâautâjour, quâune famille câest comme une cellule vivante, que chaque membre de la famille doit contribuer Ă la vie de la cellule⊠Cellule mon cul⊠Ah! Oui, pour ĂȘtre une cellule, câest une cellule, mais pas de câte sorte-lĂ ! Nous autres, quand on se marie, câest pour ĂȘtre tu-seuls ensemble. ToĂ© [LĂ©opold], tâes tu-seule, ton mari Ă cĂŽtĂ© de toĂ© est tu-seul, pis tes enfants sont tu-seuls de leur bord⊠Pis tout le monde se regarder comme chien et chat⊠Une gang de tu-seuls ensemble, câest ça quâon est!
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Michel Tremblay (Ă toi, pour toujours, ta Marie-Lou)
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Parmi tant de surprenantes boutiques, celles qui donnent le plus Ă rĂ©flĂ©chir sont pour moi, dans une rue que les Ă©trangers connaissent Ă peine, ces espĂšces de hangars poussiĂ©reux, oĂč s'entassent les vieilles armes, les vieilles cuirasses, les vieux visages d'acier, tout l'attirail pour faire peur qui servait aux anciennes batailles, et les fanions des SamouraĂŻs, leurs emblĂšmes de ralliement, leurs Ă©tendards. Sur des fantĂŽmes de mannequins qui ne tiennent plus debout, posent des armures squameuses, des moitiĂ©s de figures poilues, des masques ricanant la mort. Un fouillis d'objets ultra-mĂ©chants, qui pour nous ne ressemblent Ă rien de connu, tellement qu'on les croirait tombĂ©s de quelque planĂšte Ă peine voisine. Ce Japon Ă demi fantastique, soudainement Ă©croulĂ© aprĂšs des millĂ©naires de durĂ©e, gĂźt lĂ pĂȘle-mĂȘle et continue de dĂ©gager un vague effroi. Ainsi, les pĂšres, ou les grands-pĂšres tout au plus, de ces petits soldats d'aujourd'hui, si drĂŽlement corrects dans leurs uniformes d'Occident, se dĂ©guisaient encore en monstres de rĂȘve, il y a cinquante ans Ă peine, lorsqu'il s'agissait d'aller se battre; ils mettaient ces cornes, ces crĂȘtes, ces antennes; ils ressemblaient Ă des scarabĂ©es, des hippocampes, des chimĂšres: par les trous de ces masques Ă grimace, luisaient leurs yeux obliques et sortaient leurs cris de fureur ou d'agonie... Et c'est dans les vallĂ©es ou les champs de ce gentil pays vert qu'avaient lieu ces scĂšnes uniques au monde: les rencontres et les corps Ă corps d'armĂ©es rivales, vĂȘtues avec cet art dĂ©moniaque, alors que les longs sabres coupants, tenus Ă deux mains au bout de bras musculeux et courts, dĂ©crivaient leurs moulinets en l'air, puis faisaient partout des entailles saignantes, fauchaient ensemble les casques cornus et les figures masquĂ©es.
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Pierre Loti (La troisiĂšme jeunesse de Madame Prune / Le mariage de Loti)
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Soutenir que lâIslam apparaĂźt constamment en filigrane dans lâensemble de ses ouvrages, mĂȘme ceux qui ont Ă©tĂ© publiĂ©s avant 1930, ne revient donc nullement Ă dĂ©former la portĂ©e rĂ©elle de son enseignement, ni Ă en restreindre lâuniversalitĂ© par rĂ©fĂ©rence Ă une tradition particuliĂšre ; c âest, tout au contraire, donner la clĂ© vĂ©ritable qui permet dâen saisir la signification profonde et de rĂ©soudre les difficultĂ©s apparemment inextricables auxquelles se heurtent toujours ceux qui cherchent Ă lâaborder d âune façon extĂ©rieure, c âest-Ă -dire au moyen d âune approche purement documentaire et par un recours exclusif Ă la mĂ©thode « historique».
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Charles-André Gilis (Introduction à l'enseignement et au mystÚre de René Guénon)
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La notion dâintĂ©gration contient lâidĂ©e fausse que lâislĂąm est une religion Ă©trangĂšre. Seul Ordre rĂ©vĂ©lĂ© destinĂ© Ă lâensemble des hommes, lâislĂąm est chez lui partout. Affirmer le contraire revient Ă considĂ©rer les musulmans dâorigine occidentale comme Ă©tant des Ă©trangers dans leur propre pays. Câest plutĂŽt lâessence de la religion traditionnelle qui a cessĂ© dâavoir droit de citĂ© en Occident. Ce que les Occidentaux veulent Ă tout prix « intĂ©grer », câest-Ă -dire domestiquer,ce nâest pas lâislĂąm, câest la religion.
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Charles-André Gilis (L'intégrité islamique : Ni intégrisme ni intégration)
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Chaque Ă©lĂšve joue de son instrument, ce n'est pas la peine d'aller contre. Le dĂ©licat, c'est de bien connaĂźtre nos musiciens et de trouver l'harmonie. Une bonne classe, ce n'est pas un regiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille la mĂȘme symphonie. Et si vous avez hĂ©ritĂ© du petit triangle qui ne sait faire que ting ting, ou de la guimbarde qui ne fait que bloĂŻng bloĂŻng, le tout est qu'ils le fassent au bon moment, le mieux possible, qu'ils deviennent un excellent triangle, un irrĂ©prochable guimbarde, et qu'ils soient fiers de la qualitĂ© que leur contribution confĂšre Ă l'ensemble. Comme le goĂ»t de l'harmonie les fait tous progresser, le petit triangle finira lui aussi par connaĂźtre la musique, peut-ĂȘtre pas aussi brillamment que le premier violon, mais il connaĂźtra la mĂȘme musique.
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Daniel Pennac (Chagrin d'Ă©cole)
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La gauche socialiste se lançait sur la voie d'une mutation profonde, qui allait s'accentuer d'annĂ©e en annĂ©e, et commençait de se placer avec un enthousiasme suspect sous l'emprise d'intellectuels nĂ©oconservateurs qui, sous couvert de renouveler la pensĂ©e de gauche, travaillaient Ă effacer tout ce qui faisait que la gauche Ă©tait la gauche. Se produisait, en rĂ©alitĂ©, une mĂ©tamorphose gĂ©nĂ©rale et profonde des ethos autant que des rĂ©fĂ©rences intellectuelles. On en parla plus d'exploitation et de rĂ©sistance, mais de « modernisation nĂ©cessaire » et de « refondation sociale » ; plus de rapports de classe, mais de « vivre-ensemble » ; plus de destins sociaux, mais de « responsabilitĂ© individuelle ». La notion de domination et l'idĂ©e d'une polaritĂ© structurante entre les dominants et les dominĂ©s disparurent du paysage politique de la gauche officielle, au profit de l'idĂ©e neutralisante de « contrat sociale », de « pacte social », dans le cadre desquels des individus dĂ©finis comme « Ă©gaux en droit » (« Ă©gaux » ? Quelle obscĂšne plaisanterie !) Ă©taient appelĂ©s Ă oublier leurs « intĂ©rĂȘts particuliers » (c'est-Ă -dire Ă se taire et Ă laisser les gouvernants gouverner comme ils l'entendaient). Quels furent les objectifs idĂ©ologique de cette « philosophie politique », diffusĂ©e et cĂ©lĂ©brĂ©e d'un bout Ă l'autre du champ mĂ©diatique, politique et intellectuel, de la droite Ă la gauche (ses promoteurs s'Ă©vertuant d'ailleurs Ă effacer la frontiĂšre entre la droite et la gauche, en attirant, avec le consentement de celle-ci, la gauche vers la droite) ? L'enjeu Ă©tait Ă peine dissimulĂ© : l'exaltation sur « sujet autonome » et la volontĂ© concomitante d'en finir avec les pensĂ©e qui s'attachaient Ă prendre en considĂ©ration les dĂ©terminismes historiques et sociaux eurent pour principale fonction de dĂ©faire l'idĂ©e qu'il existait des groupes sociaux - des « classes » - et de justifier ainsi le dĂ©mantĂšlement du welfare state et de la protection sociale, au nom d'une nĂ©cessaire individualisation (ou dĂ©collectivisation, dĂ©socialisation) du droit du travail et des systĂšmes de solidaritĂ© et de redistribution. Ces vieux discours et ces vieux projets, qui Ă©taient jusqu'alors ceux de la droite, et ressassĂ© obsessionnellement par la droite, mettant en avant la responsabilitĂ© individuelle contre le « collectivisme », devinrent aussi ceux d'une bonne partie de la gauche. Au fond, on pourrait rĂ©sumer la situation en disant que les partis de gauche et leurs intellectuels de parti et d'Ătat pensĂšrent et parlĂšrent dĂ©sormais un langage de gouvernants et non plus le langage des gouvernĂ©s, s'exprimĂšrent au nom de gouvernants (et avec eux) et non plus au nom des gouvernĂ©s (et avec eux), et donc qu'ils adoptĂšrent sur le monde un point de vue de gouvernants en repoussant avec dĂ©dain (avec une grande violence discursive, qui fut Ă©prouvĂ©e comme telle par ceux sur qui elle s'exerça) le point de vue des gouvernĂ©s. Tout au plus daigna-t-on, dans les versions chrĂ©tiennes ou philanthropiques de ces discours nĂ©oconservateurs, remplacer les opprimĂ©s et les dominĂ©s d'hier - et leurs combats - par les « exclus » d'aujourd'hui - et leur passivitĂ© prĂ©somptive - et se pencher sur eux comme les destinataires potentiels, mais silencieux, de mesures technocratiques destinĂ©s Ă aider les « pauvres » et les « victimes » de la « prĂ©carisation » et de la « dĂ©saffiliation ». Ce qui n'Ă©tait qu'une autre stratĂ©gie intellectuelle, hypocrite et retorse, pour annuler toute approcher en termes d'oppression et de lutte, de reproduction et de transformation des structures sociales, d'inertie et de dynamique des antagonismes de classe. (p. 130-132)
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Didier Eribon (Returning to Reims)
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Imagine un peu ce qui arriverait si, au lieu de baser nos croyances concernant le sexe hĂ©tĂ©ro sur lâidĂ©e que lâhomme âpĂ©nĂštreâ la femme, nous disions que câest plutĂŽt le vagin de la femme qui âconsommeâ le pĂ©nis de lâhomme. Cette construction crĂ©erait un tout autre ensemble de connotations, en ce que la femme deviendrait lâinitiatrice active, tandis que lâhomme serait le participant passif et rĂ©ceptif. On voit trĂšs facilement comment les hommes et la masculinitĂ© pourraient finir par ĂȘtre vus comme dĂ©pendants et existant au bĂ©nĂ©fice des femmes et de la fĂ©minitĂ©. De la mĂȘme maniĂšre, si on pensait Ă certain traits typiquement "fĂ©minins", comme dâĂȘtre Ă©motif et expansif, non pas comme des signes dâinsĂ©curitĂ© ou de dĂ©pendance mais comme des actes audacieux dâauto-expression, alors lâidĂ©al masculin du âbeau tĂ©nĂ©breuxâ pourrait sembler timide et insĂ©cure en comparaison.
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Julia Serano (Whipping Girl: A Transsexual Woman on Sexism and the Scapegoating of Femininity)
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Maintenant lâempire a Ă©tĂ© pacifiĂ© ; les lois et les ordonnances Ă©manent dâun seul ; le peuple et les chefs de famille sâappliquent aux travaux de lâagriculture et de lâindustrie ; les classes supĂ©rieures sâinstruisent des lois et des ordonnances, des interdictions et des dĂ©fenses. Cependant les maĂźtres-lettrĂ©s ne prennent pas modĂšle sur le prĂ©sent, mais Ă©tudient lâantiquitĂ© afin de dĂ©nigrer lâĂ©poque actuelle ; ils jettent le doute et le trouble parmi les tĂštes noires. Le conseiller, votre sujet (Li) Se, se dissimulant quâil sâexpose Ă la mort, dĂźt : Dans lâantiquitĂ©, lâempire Ă©tait morcelĂ© et troublĂ© ; il ne se trouvait personne qui pĂ»t lâunifier ; câest pourquoi les seigneurs rĂ©gnaientâ simultanĂ©ment.
Dans leurs propos, (les lettrĂ©s) parlentâ tous de l'antiquitĂ© afin de dĂ©nigrer le temps prĂ©sent ; ils colorent des faussetĂ©s afin de mettre la confusion dans ce qui est rĂ©el : ces hommes font valoir lâexcellence de ce quâils ont appris dans leur Ă©tude privĂ©e afin de dĂ©nigrer ce quâa instituĂ© Votre MajestĂ©. Maintenant que le souverain empereur possĂšde lâempire dans son ensemble, quâil a distinguĂ© le noir du blanc et quâil a imposĂ© lâunitĂ©, ils mettent en honneur leurs Ă©tudes privĂ©es et tiennent des conciliabules. Ces hommes qui condamnent les lois et les instructions, dĂšs qu'ils apprennent qu'un Ă©dit a Ă©tĂ© rendu, s'empressent de le discuter chacun d'aprĂšs ses propres principes; lorsqu'ils sont Ă la cour, ils dessape prouvent dans leur for intĂ©rieur ; lorsqu'ils en sont sortis, ils dĂ©libĂšrent dans les rues; louer le souverain, ils estiment que c'est (chercher) la rĂ©putation; s'attacher Ă des principes extraordinaires, ils pensent que c'est le plus haut mĂ©rite ; ils entraĂźnent le bas peuple Ă forger des calomnies. Les choses Ă©tant ainsi, si on ne sây oppose pas, alors en haut la situation du souverain sâabaissera, tandis quâen bas les associations se fortifieront. Il est utile de porter une dĂ©fense.
Votre sujet propose que les histoires officielles, Ă lâexception des MĂ©moires de Tshin, soient toutes brĂ»lĂ©es : sauf les personnes qui ont la charge de lettrĂ©s au vaste savoir, ceux qui dans lâempire se permettent de cacher le Che (King), le Chou (King) ou les discours des Cent Ă©coles, devront tous aller auprĂšs des autoritĂ©s locales civiles et militaires pour quâelles les brĂ»lent. Ceux qui oseront discuter entre eux sur le Che (King) et le Chou (King) seront (mis Ă mort et leurs cadavres) exposĂ©s sur la place publique ; ceux qui se serviront de lâantiquitĂ© pour dĂ©nigrer les temps modernes seront mis Ă mort avec leur parentĂ©. Les fonctionnaires qui verront ou apprendront (que des personnes contreviennent Ă cet ordre), et qui ne les dĂ©nonceront pas, seront impliquĂ©s dans leur crime. Trente jours aprĂšs que lâĂ©dit aura Ă©tĂ© rendu, ceux qui nâauront pas bruie (leurs livres) seront marquĂ©s et envoyĂ©s aux travaux forcĂ©s. Les livres qui ne seront pas proscrits seront ceux de mĂ©decine et de pharmacie, de divination par la tortue et achillĂ©e, dâagriculture et dâarboriculture ordonnances, quâils prennent pour maĂźtres les fonctionnaires. » Le dĂ©cret fat : « ApprouvĂ©. »
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Sima Qian
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Jâai pensĂ© quâil valait mieux quâAimĂ©e prenne ma place et câest elle qui lui a racontĂ© en dĂ©tails tout ce que nous Ă©tions censĂ©s avoir fait ensemble.
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Michelle Gable (L'appartement oublié)
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Jâai pensĂ© quâil valait mieux quâAimĂ©e prenne ma place et câest elle qui lui a racontĂ© en dĂ©tails tout ce que nous Ă©tions censĂ©s avoir fait ensemble. Elle a Ă©voquĂ© des choses dont je nâavais jamais entendu parler. Jâai cru comprendre que les hommes aimaient pĂ©nĂ©trer les femmes par tous les orifices. Et AimĂ©e se vante de pouvoir prendre un sexe entier dans sa bouche
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Michelle Gable (L'appartement oublié)
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Quand je bois, je bois trop, quand je fume, je me bousille, quand j'aime, je perds la raison et quand je travaille, je me tue...Je ne sais rien faire normalement sereinement, je...
- Et quand tu détestes?
- Ăa je sais pas...
- Je croyais que tu me détestais, moi?
- Pas encore, sourit-elle, pas encore...Tu verras quand ça arrivera...Tu verras la différence...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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D'abord, tu penserais que c'est un mec. Comme la premiĂšre fois. Peut-ĂȘtre pas une folle, mais un type vachement effĂ©minĂ© quand mĂȘme...Donc t'arrĂȘterais de mater. Quoique...Tu aurais des doutes malgrĂ© tout...Ă cause de ses mains, de son cou, de cette façon qu'il avait de promener l'ongle de son pouce sur sa lĂšvre infĂ©rieure...Oui, tu hĂ©siterais...C'Ă©tait peut-ĂȘtre une fille finalement? Une fille habillĂ©e en sac. Comme si elle cherchait Ă cacher son corps Tu essayerais de regarder ailleurs mais tu ne pourrais pas t'empĂȘcher d'y revenir. Parce qu'il y avait une run, lĂ ...L'air Ă©tait spĂ©cial autour de cette personne. Ou la lumiĂšre peut-ĂȘtre?
Voilà . C'était ça.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Mais entre cuisiniers, vous parlez quand mĂȘme? Vous vous racontez vos expĂ©riences?
- Pas tellement... On est pas trÚs bavards, tu sais...On est trop crevés pour jacter. On se montre des trucs, des tours de mains, on échange des idées, des morceaux de recettes qu'on a piquées ici ou là , mais ça va rarement plus loin...
- C'est dommage...
- Si on savait s'exprimer, faire des belles phrases et tout ça, on ferait pas ce boulot-lĂ , c'est clair. Enfin moi en tout cas, j'arrĂȘterais tout de suite.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Le chef discutait avec un type super élégant dans son bureau.
â C'est dĂ©jĂ un client?
â Non, c'est le maĂźtre d'hĂŽtel...
â Eh ben... Il est drĂŽlement classe...
â En salle, ils sont tous beaux...Au dĂ©but du service, c'est nous qui sommes propres et eux qui passent l'aspirateur en tee-shirt et plus le temps passe, plus la tendance s'inverse: on pue, on devient crades et eux ils passent devant nous, frais comme des gardons, avec leurs brushings et leurs costumes impeccables...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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On se saluait chaque matin et l'on se droguait gentiment en rentrant le soir. Shit, herbe, pinard, incunables, Marie-Antoinette ou Heineken, c'Ă©tait chacun son trip et Marvin pour tous.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Le but, c'est que tu deviennes accro Ă mon picotin. Que tous les matins tu te lĂšves en te demandant ce qu'il y aura au menu.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Ce qui empĂȘche les gens de vivre ensemble, c'est leur connerie, pas leurs diffĂ©rences...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Le rire énorme de cette femme, ce travail débile chez Touclean, la Bredart, les histoires abracadabrantes de Carine, les engueulades, les cigarettes échangées, la fatigue physique, leurs fous rires imbéciles et leurs méchantes humeurs quelquefois, tout cela l'aidait à vivre. L'aidait à vivre, oui.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Ils n'Ă©taient pas bavards. Ils n'avaient plus l'habitude de partager leurs repas. Le protocole ne fut donc pas trĂšs au point et tous deux eurent du mal Ă se dĂ©pĂȘtrer de leur solitude...Mais c'Ă©tait des gens bien Ă©levĂ©s et ils firent un effort pour porter beau. S'Ă©gayĂšrent, trinquĂšrent, Ă©voquĂšrent le quartier.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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On copiait démarche, ses gestes, ses coiffures. Elle servit, d'ailleurs, à établir les canons de la beauté, dont toutes les femmes, pendant cent ans, cherchÚrent furieusement à se rapprocher:
Trois choses blanches: la peau, les dents, les mains.
Trois noires: les yeux, les sourcils, les paupiĂšres.
Trois rouges: les lĂšvres, les joues, les ongles.
Trois longues: le corps, les cheveux, les mains.
Trois courtes: les dents, les oreilles, les pieds.
Trois étroites: la bouche, la taille, l'entrée du pied.
Trois grosses: les bras, les cuisses, le gros de la jambe.
Trois petites: le tĂ©tin, le nez, la tĂȘte
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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...pour la premiĂšre fois et tous autant qu'ils Ă©taient, ils eurent l'impression d'avoir une vraie famille.
Mieux qu'une vraie d'ailleurs, une choisie, une voulue, une pour laquelle ils s'Ă©taient battus et qui ne leur demandait rien d'autre en Ă©change que d'ĂȘtre heureux ensemble. MĂȘme pas heureux d'ailleurs ils n'Ă©taient plus si exigeants. D'ĂȘtre ensemble, c'est tout. Et dĂ©jĂ c'Ă©tait inespĂ©rĂ©.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Bien sûr que non. Quand ils se tiennent mal, on n'est pas obligé d'aimer ses parents.
Bien sûr que si.
Pourquoi?
Ben parce que ce sont tes parents justement...
Pff...C'est pas dur d'ĂȘtre parents y suffit de baiser. C'est aprĂšs que ça se complique...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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La main, c'est bien.
Ăa n'engage pas trop celui qui la donne et ça apaise beaucoup celui qui la reçoit...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Il ne lui répondit qu'une seule fois: 01:16 silence
Voulait-il dire: fin du service, paix, calme, ou voulait-il dire: boucle-la?
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Bon. Il ne te reste plus que cinq minutes pour arriver à prononcer une phrase de sept mots, c'est faisable, non? Allez, badinait-il pour de faux, si c'est trop, sept, trois me suffiraient...Mais les bons, hein? Merde! J'ai pas composté mon billet...Alors?
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Ils seront tous faits quand j'arriverai...Ce qui est amusant, c'est de s'enivrer en mĂȘme temps que les autres, sinon c'est un peu dĂ©primant...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
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Ces vieux immeubles en briques d'avant-guerre. Ils bossaient comme des dingues, pas encore trente ans, et se trouvaient le soit, complÚtement claqués mais contents.
Ă ses yeux, Philippe n'avait pas son pareil et quand ils allaient dans une soirĂ©e, un bar, elle voyait les regards sur eux et s'en dĂ©lectait jusqu'Ă la bĂȘtise. Ils avaient tout, la jeunesse, du fric, bon goĂ»t, une pile d'Inrocks dans les toilettes et une super machine Ă expresso. Ils s'habillaient dans les petites boutiques du Marais et elle portait ce parfum pour homme Bensimon qu'il adorait. Le dimanche matin, ils descendaient Ă pied jusqu'Ă Jourdain et prenaient une baguette tradi puis du fromage, des fruits et des lĂ©gumes bios, du saucisson et un bouquet de fleurs au marchĂ©. Leur cabas en tissu Ă©cossais, Philippe et ses Vans, elle en ballerines, c'Ă©tait toujours le printemps, dans sa mĂ©moire en tout cas.
Avant de regagner leur appart, ils s'installaient à une terrasse pour regarder les passants. Tous deux aimaient ce quartier resté populaire, c'est ce qu'ils disaient à leurs potes, tard le soir, quand ils se saoulaient au Chéri ou au Zorba, des cafés de Belleville qui ne désemplissaient pas et attiraient toute une faune de jeunes gens marginalement marginaux et principalement adéquats.
Ensemble, ils faisaient des gueuletons sur-arrosés au Président, brunchaient, se forçaient à aller voir les derniÚres expos, les films au sujet desquels il fallait avoir un avis, assistaient à des concerts à la Cigale, au Divan du Monde, à la Boule Noire et écoutaient des groupes de punk à la Miroiterie. Pour dissiper le stress du boulot, rien ne valait ces loisirs-vitrines, des trucs dont on pouvait parler avec ses proches et les collÚgues, le dernier petit resto branché, les meilleurs bagels de la ville.
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Nicolas Mathieu (Connemara)
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Vous savez, Madame, que jâajoute un grand prix Ă lâĂ©tude des nuances quâil y a entre le caractĂšre des difĂ©rentes nations, et je crois pouvoir dĂ©montrer un jour quâĂ moins de nâen venirjusque lĂ , jusquâĂ dĂ©velopper le caractĂšre de chaque nation, je dirais mĂȘme de chaque peuplade dâaprĂšs ses nuances individuelles, on travaillera toujours en vain tant en morale, quâen politique. On sâoccupe beaucoup trop peu de lâhomme et beaucoup trop des ouvrages quâil fait et des institutions qui doivent le diriger, et on nĂ©glige surtout de lâĂ©tudier dans lâensemble de son individu. Câest lĂ surtout ce qui rend, ce me semble, la philosophie en France si vague et la poĂ©sie pour la plupart aussi froide et peu intĂ©ressante. Tout ce qui ne consiste quâen gĂ©nĂ©ralitĂ©s, tou- jours abstraites, ne saurait all au cĆur ni ĂȘtre appliquĂ© avec fruit Ă la vie sociale. Câest encore lĂ pourquoi le systĂšme de la perfectibilitĂ© trouve plus dâadversaires en France quâen nul autre pays. Car ce systĂšme, comme vous lâavez si bien dĂ©montrĂ©, ne se fonde que sur ce que le dĂ©veloppe- ment des facultĂ©s de lâhomme ne connait aucunes bornes que lâhomme lui-mĂȘme pĂ»t leur as- signer. On ne peut le combattre quâen sâattachant aux choses, aux ouvrages quâil produit. On part de lâidĂ©e dĂ©terminĂ©e et circonscrite quâon sâest formĂ© de ces ouvrages et il est aisĂ© de dire pour lors quâil serait impossible dâaller plus loin. Il est si facile de voir les rĂ©sultats heureux que produit la difĂ©rence entre le gĂ©nie et le caractĂšre des individus comme des nations; on nâa quâĂ comparer la littĂ©rature français et allemande pour sâen convaincre. NĂ©anmoins on voudrait se priver de ces mĂȘmes avantages et au lieu de cultiver, de dĂ©velopper et de purifier la sociĂ©tĂ© des caractĂšres, on voudrait lâannuler, et nâĂ©tablir partout quâune mĂȘme maniĂšre de voir, de penser et de sâĂ©noncer. On ne voit donc quâil doit nĂ©cessairement chercher de nouveaux idiomes puisquâil entrevoit toujours des idĂ©es que ceux quâil connait, nâexpriment quâimparfaitement.
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Wilhelm von Humboldt
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Lâenthousiasme que le beau idĂ©al nous fait Ă©prouver, cette Ă©motion pleine de trouble et de puretĂ© tout ensemble, câest le sentiment de lâinfini qui lâexcite. Nous nous sentons comme dĂ©gagĂ©s, par lâadmiration, des entraves de la destinĂ©e humaine, et il nous semble quâon nous rĂ©vĂšle des secrets merveilleux, pour afranchir lâĂąme Ă jamais de la langueur et du dĂ©clin.
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Madame de Staël (De L'Allemagne, 1 and 2 by Madame De Stael)
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Beaucoup dâamitiĂ©s (et dâamours) se terminent lĂ , ne survivent pas au passage dâune phase Ă lâautre, et finissent au mieux par ressembler Ă ââce pacte dâinvisibilitĂ© et de non-agressionââ [âŠ]. Comment notre amitiĂ© a-t-elle pu survivre aux silences et aux affrontements, traverser lâĂ©preuve de la diffĂ©rence, faire du dĂ©saccord radical ââce qui nous oblige Ă rester ensembleââ, devenir une ââamitiĂ© dialectiqueââ, semblable Ă celle qui te reliait Ă Pierre Vadeboncoeur, celle de ââdeux ĂȘtres qui savent, chacun pour soi, que lâautre vit dans un monde qui nâest pas le sien, et qui acceptent sereinement quâil en soit ainsiââ ? La rĂ©ponse que tu donnes a la justesse du paradoxe liĂ© au processus mĂȘme de la connaissance qui est aussi celui de lâamitiĂ© : plus nous connaissons quelque chose, plus lâinconnu grandit, plus nous sommes liĂ©s Ă quelquâun que nous aimons, plus la distance entre nous grandit et nous rend ââson identitĂ© de plus en plus Ă©nigmatique, sa vĂ©ritĂ© de plus en plus insaisissable, et toutes deux, pourtant, toujours plus irremplaçablesââ. Câest ainsi que sans avoir cessĂ© dâĂȘtre soi, sans avoir renoncĂ© Ă incarner la vĂ©ritĂ© qui nous a Ă©tĂ© confiĂ©e, sans nous ĂȘtre dĂ©robĂ©s ââĂ cette force aveugle qui, sans que nous le sachions, nous façonne et nous oriente de maniĂšre si imprĂ©visible et, Ă partir des mĂȘmes matĂ©riaux, fait tel visage Ă lâun et tel autre Ă celui-lĂ ââ, nous nous sommes si bien perdus de vue que nous en sommes venus Ă ne plus voir que le monde qui surgit entre nous des pĂŽles contraires dont nous avons la garde, Ă voir que la distance qui nous sĂ©pare est aussi le chemin qui nous relie, que lâexistence de lâautre Ă lâautre bout du chemin nous libĂšre de nous-mĂȘmes, du noyau dur de notre ĂȘtre [âŠ]. Don Quichotte et Sancho tiennent chacun un bout du monde pour ne pas quâil sâĂ©croule dans le non-sens ou pour en retarder la chute. [âŠ] Ce qui nous relie dĂ©sormais, ââce lien entre nous, câest certain, qui ne se brisera quâavec la mortââ, nâest-ce pas au fond la fidĂ©litĂ© Ă lâenfance, Ă ce que nous Ă©tions lorsque nous nâĂ©tions pas encore sĂ»rs dâĂȘtre quelquâun, fidĂ©litĂ© Ă cette affinitĂ© Ă©lective quâaucun dĂ©saccord ne peut plus effacer, car elle ne repose plus sur ââles ressemblances de tempĂ©rament ou les communautĂ©s de vues ou de goĂ»tsââ, mais sur ce dĂ©sir dâĂȘtre autre, que lâautre a Ă©veillĂ© en nous, et qui a donnĂ© Ă chacun la force dâĂȘtre soi en imitant, en admirant lâautre ?
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Yvon Rivard
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Aujourdâhui jâai fait un malaise dans le tram 21
une torpeur sâest comme ça emparĂ©e de moi et ce mal(ĂȘtre) mâa clouĂ© dĂ©bout.
lĂ -bas Ă mi-chemin du tram 21. oĂč se scinde en
deux la vie. là -bas tandis que je prenais appui sur la barre latérale de moi
sâest emparĂ© ce mal(ĂȘtre).
si je me souviens bien câĂ©tait Ă mi-chemin du tram
oĂč se tiennent les petits balanciers. les grands balanciers sont
plus proches du conducteur. nul besoin dâavoir un certain Ăąge
pour les balanciers on peut mĂȘme nâĂȘtre quâun enfant si lâon veut,
pour les balanciers. ceux qui passent dans lâautre moitiĂ© du tram
reçoivent gracieusement un balancier pour sây balancer.
et tandis que je comptais les arrĂȘts jusquâĂ piaÈa obor. câest comme ça
quâun mal(ĂȘtre) sâest emparĂ© de moi et mâa ramolli les genoux. le noir
devant mes yeux. petit ou grand mal(ĂȘtre) je nâen sais rien puisque je ne suis pas encore mort
tout Ă fait. juste la mollesse de mes genoux et la voix
familiĂšre criant emil emil. Ă©tendez-le par terre il a quelque chose
comme un mal(ĂȘtre). et laissez-le respirer tout seul. criaient les voyageurs.
forts aimables les passagers du tram 21.
lâun mâa offert sa place. un autre a ouvert la fenĂȘtre.
fort aimables les voyageurs aprĂšs tout jâĂ©tais lâun des leurs.
juste mon front en sueur et mes mains moites et froides. seul le mal(ĂȘtre)
sâamenuisait lentement et ma colĂšre noire dans le tram 21 ne me lĂąchait plus.
de ma priĂšre vers dieu je ne me souviens plus guĂšre.
seule de la voix féminine attendue toute ma vie
Ă lâarrĂȘt perla pour prendre ensemble le tram 21 qui Ă©tait en fait
le tram 46. je mâen souviens. quâil nous emmĂšne
quâil nous emmĂšne Ă ce marchĂ© obor pour lâagneau de PĂąques.
(traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
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Emil Iulian Sude (Paznic de noapte)
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des grotesques ; PolyphĂšme est un grotesque terrible ; SilĂšne est un grotesque bouffon. Mais on sent ici que cette partie de lâart est encore dans lâenfance. LâĂ©popĂ©e, qui, Ă cette Ă©poque, imprime sa forme Ă tout, lâĂ©popĂ©e pĂšse sur elle, et lâĂ©touffe. Le grotesque antique est timide, et cherche toujours Ă se cacher. On sent quâil nâest pas sur son terrain, parce quâil nâest pas dans sa nature. Il se dissimule le plus quâil peut. Les satyres, les tritons, les sirĂšnes sont Ă peine difformes. Les parques, les harpies sont plutĂŽt hideuses par leurs attributs que par leurs traits ; les furies sont belles, et on les appelle eumĂ©nides, câest-Ă -dire douces, bienfaisantes. Il y a un voile de grandeur ou de divinitĂ© sur dâautres grotesques. PolyphĂšme est gĂ©ant ; Midas est roi ; SilĂšne est dieu. Aussi la comĂ©die passe-t-elle presque inaperçue dans le grand ensemble Ă©pique de lâantiquitĂ©. Ă cĂŽtĂ© des chars olympiques, quâest-ce que la charrette de Thespis ? PrĂšs des colosses homĂ©riques, Eschyle, Sophocle, Euripide, que sont Aristophane et Plaute ? HomĂšre les emporte avec lui, comme Hercule emportait les pygmĂ©es, cachĂ©s dans sa peau de lion. Dans la pensĂ©e des modernes, au contraire, le grotesque a un rĂŽle immense. Il y est partout ; dâune part, il crĂ©e le difforme et lâhorrible ; de lâautre, le comique et le bouffon.
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Victor Hugo (Préface de Cromwell l'integrale (présenter et expliquer ) (French Edition))
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parfois je me demande si je devrais vraiment me sentir de cette maniĂšre, quand il est question d'elle.
j'y repense, de temps en temps, souvent pour ĂȘtre honnĂȘte, Ă tout ce qui s'est passĂ©.
comment j'ai abordé les choses et comment elle l'a fait.
à l'époque, je me demandais toujours, si tout ce que je ressentais, était lié au fait que j'étais amoureuse d'elle.
avec le temps, j'ai appris que non, l'amour platonique peut ĂȘtre tout aussi ĂȘtre fort que l'amour romantique, et se sentir aussi mal, parce que quelqu'un dĂ©cide que nous n'en valons pas la peine, n'est pas toujours synonyme d'envie de sortir avec la personne qui nous a fait cela.
je ne pense pas qu'elle est vraiment fait quelque chose de mal au fond, bien évidemment, elle était parfois tellement autocentrée que ses décisions n'étaient prises qu'en fonction de ses émotions et jamais celles des autres; mais n'est-ce pas la vie au final, préserver notre bonheur, qu'importe ce qu'il faille faire ?
je pense dĂ©finitivement, que la maniĂšre dont elle m'a "jetĂ©e" aurait pu ĂȘtre diffĂ©rente. une derniĂšre petite discussion, un dernier adieu, un dernier cĂąlin; aprĂšs tout ce que nous avions vĂ©cu ensemble. au final, je pense que c'est cela qui m'a le plus brisĂ©e. qu'elle ai dit adieu Ă tout ça, sans mĂȘme penser Ă moi, sans mĂȘme penser Ă la personne qui l'avait soutenu, aimĂ©e, dĂ©fendu Ă chaque occasion. bien sĂ»r je n'ai jamais Ă©tĂ© parfaite et j'ai fais des erreurs, des erreurs que j'aurais pu ne pas commettre; mais il n'a jamais Ă©tĂ© question, de la blesser. jamais. Ă l'inverse, la maniĂšre dont elle m'a mise de cĂŽtĂ©, dont elle m'a balayĂ©e sous la porte; je pense que c'est ça qui m'a fait le plus de mal. c'Ă©tait d'avoir l'impression d'avoir Ă©tĂ© abandonnĂ©e, pour quelque chose, dont j'avais l'impression ĂȘtre en faute; mĂȘme si ce n'Ă©tait pas vrai. ce n'Ă©tait pas vrai. et peut ĂȘtre que je ne suis pas objective, mais ce n'Ă©tait pas vrai. j'ai fais tout ce que j'ai pu pour lui assurer le bonheur; mĂȘme quand elle ne m'aimait plus et agissait en consĂ©quences, pour me le montrer; mĂȘme quand elle faisait tout cela, je remerciais le monde d'ĂȘtre ami avec elle. pour qu'elle ne soit jamais triste. pour qu'elle ne soit jamais seule. je n'ai jamais Ă©tĂ© parfaite; mais je l'aimais tellement, si fort, que j'aurais tout fais pour elle. mais quand j'y repense, quand je repense Ă tout ce qu'on a vĂ©cu, tout ce qui s'est passĂ©, tout ce qu'elle m'a dit; elle ne m'aurait jamais rendu la pareille. elle n'aurait jamais levĂ© le petit doigt, pour me dĂ©fendre comme je l'ai fait. pour me soutenir comme je l'ai fait. pour m'aimer, comme je l'ai fait.
alors oui nous avons vĂ©cu de jolies choses et je ne les oublierai jamais. mais je n'oublierai jamais non plus, toutes les fois, oĂč elle m'a fait sentir comme si je ne mĂ©ritais rien. comme si je n'Ă©tais plus rien.
je ne sais jamais comment finir ces textes, je les fais de moins en moins et avec de moins en moins de tristesse et je pense que cette une bonne chose. peut ĂȘtre que c'est ça ma malĂ©diction; ne jamais avoir de finalitĂ© Ă tout ce qui la concerne. alors je le finis de cette maniĂšre, avec un point que j'amĂšne moi-mĂȘme; comme j'aurais toujours du le faire. point. point.
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emrulis
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parfois, je me demande si je devrais vraiment me sentir de cette maniĂšre, quand il est question d'elle. j'y repense, de temps en temps, souvent pour ĂȘtre honnĂȘte, Ă tout ce qui s'est passĂ©. comment j'ai abordĂ© les choses et comment elle l'a fait. Ă l'Ă©poque, je me demandais toujours si tout ce que je ressentais Ă©tait liĂ© au fait que j'Ă©tais amoureuse d'elle. avec le temps, j'ai appris que non, l'amour platonique peut ĂȘtre tout aussi fort que l'amour romantique, et se sentir aussi mal, parce que quelqu'un dĂ©cide que nous n'en valons pas la peine, n'est pas toujours synonyme d'envie de sortir avec la personne qui nous a fait cela. je ne pense pas qu'elle ait vraiment fait quelque chose de mal au fond. bien Ă©videmment, elle Ă©tait parfois tellement autocentrĂ©e que ses dĂ©cisions n'Ă©taient prises qu'en fonction de ses Ă©motions et jamais celles des autres ; mais n'est-ce pas la vie au final, prĂ©server notre bonheur, qu'importe ce qu'il faille faire ? je pense dĂ©finitivement que la maniĂšre dont elle m'a « jetĂ©e » aurait pu ĂȘtre diffĂ©rente. une derniĂšre petite discussion, un dernier adieu, un dernier cĂąlin ; aprĂšs tout ce que nous avions vĂ©cu ensemble. au final, je pense que c'est cela qui m'a le plus brisĂ©e. qu'elle aie dit adieu Ă tout ça, sans mĂȘme penser Ă moi, sans mĂȘme penser Ă la personne qui l'avait soutenu, aimĂ©, dĂ©fendu Ă chaque occasion. bien sĂ»r, je n'ai jamais Ă©tĂ© parfaite et j'ai fait des erreurs, des erreurs que j'aurais pu ne pas commettre ; mais il n'a jamais Ă©tĂ© question de la blesser. jamais. Ă l'inverse, la maniĂšre dont elle m'a mise de cĂŽtĂ©, dont elle m'a balayĂ©e sous la porte ; je pense que c'est ça qui m'a fait le plus de mal. c'Ă©tait d'avoir l'impression d'avoir Ă©tĂ© abandonnĂ©e pour quelque chose dont j'avais l'impression d'ĂȘtre en faute ; mĂȘme si ce n'Ă©tait pas vrai. ce n'Ă©tait pas vrai. et peut-ĂȘtre que je ne suis pas objective, mais ce n'Ă©tait pas vrai. j'ai fait tout ce que j'ai pu pour lui assurer le bonheur ; mĂȘme quand elle ne m'aimait plus et agissait en consĂ©quence, pour me le montrer ; mĂȘme quand elle faisait tout cela, je remerciais le monde d'ĂȘtre ami avec elle. pour qu'elle ne soit jamais triste. pour qu'elle ne soit jamais seule. je n'ai jamais Ă©tĂ© parfaite ; mais je l'aimais tellement, si fort, que j'aurais tout fait pour elle. mais quand j'y repense, quand je repense Ă tout ce qu'on a vĂ©cu, tout ce qui s'est passĂ©, tout ce qu'elle m'a dit ; elle ne m'aurait jamais rendu la pareille. elle n'aurait jamais levĂ© le petit doigt pour me dĂ©fendre comme je l'ai fait. pour me soutenir comme je l'ai fait. pour m'aimer, comme je l'ai fait. alors oui, nous avons vĂ©cu de jolies choses et je ne les oublierai jamais. mais je n'oublierai jamais non plus toutes les fois oĂč elle m'a fait sentir comme si je ne mĂ©ritais rien. comme si je n'Ă©tais plus rien. je ne sais jamais comment finir ces textes, je les fais de moins en moins et avec de moins en moins de tristesse et je pense que câest une bonne chose. peut-ĂȘtre que c'est ça ma malĂ©diction ; ne jamais avoir de finalitĂ© Ă tout ce qui la concerne. alors je le finis de cette maniĂšre, avec un point que j'amĂšne moi-mĂȘme ; comme j'aurais toujours dĂ» le faire. point. point.
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emrulis
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Que signifie quâil nây pas une continuation de lâĆuvre de RenĂ© GuĂ©non par consensus ? Je ne sais ce que font les Maçons guĂ©noniens, mais je sais que le groupe soufique de VĂąlsan correspond pleinement Ă tout ce que dĂ©sirait GuĂ©non ; quant Ă moi lâĆuvre de GuĂ©non en tant quâensemble indivisible ne me concerne pas puisque je nâen accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir rĂ©alisĂ© un programme que je nâai jamais eu lâintention de rĂ©aliser. »
« On peut ironiser sur des « excommunications rĂ©ciproques » quand il sâagit dâune secte intrinsĂšquement hĂ©tĂ©rodoxe, donc dâune caricature, â de mormons, de bĂ©haĂŻstes, dâanthroposophes â mais non quand il sâagit dâun milieu normal et honorable se rĂ©fĂ©rant Ă des vĂ©ritĂ©s spirituelles ; dans ce dernier cas, mĂȘme les anathĂšmes peuvent ĂȘtre honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siĂšcles du Christianisme aussi bien quâaux dĂ©buts de lâIslam, et jusque dans les ordres monastiques et les confrĂ©ries. « Les divergences des sages sont une bĂ©nĂ©diction » disait le ProphĂšte. Les guĂ©noniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter mĂȘme leur divergences, lesquelles ne peuvent prĂȘter au ridicule, ou plutĂŽt au mĂ©pris, que dans les cas oĂč un individu se mĂȘle sottement ou effrontĂ©ment des choses qui le dĂ©passent ; or je revendique la plus rigoureuse honorabilitĂ© non seulement pour moi-mĂȘme, mais aussi pour mon ancien adversaire VĂąlsan, dont jâai toujours respectĂ© la position â ce fut celle de GuĂ©non â et avec lequel jâai eu de bons rapports jusquâĂ sa mort, malgrĂ© nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilitĂ© pour des personnes, guĂ©noniennes ou non, qui nâont ni vertu ni bonne foi. »
« VĂąlsan me disait une fois quâil y a peu dâhommes intelligents parmi les guĂ©noniens, quelquâen puisse ĂȘtre la raison ; il parlait Ă©videmment, non dâun groupe, mais de tous les guĂ©noniens ; et il avait une certaine expĂ©rience de leur moyenne, comme je lâai moi-mĂȘme. Une des raisons de cet Ă©tat de choses est la suivante : lâĂ©sotĂ©risme attire, non seulement les hommes dâĂ©lite mais aussi les mĂ©diocres souffrant de sentiments dâinfĂ©rioritĂ© quâils cherchent Ă compenser par quelque sublimation ; et il y a ausi des psychopathes Ă la recherche soit dâun espace de rĂȘve, soit dâun abri donnant un sentiment de sĂ©curitĂ©. On ne peut pas empĂȘcher que de tels hommes existent, mais ce nâest pas une raison pour ĂȘtre dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. »
« Jâajouterai que VĂąlsan fut la personnification du guĂ©nonisme intĂ©gral et inflexible, quâil fut â lui seul â le « dauphin » de GuĂ©non ; quâil fut un homme fort intelligent et profondĂ©ment spirituel, en sorte quâil me fut possible dâavoir avec lui les meilleurs rapports, malgrĂ© nos divergences. Câest dâailleurs sa paix avec moi, et son dĂ©sir de mâavoir comme collaborateur Ă la revue, qui est le principal chef dâaccusation de la part des sectaires de Turin ; »
[Frithjof Schuon â Lettre Ă Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]
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Frithjof Schuon
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Comment est-ce possible? Comment tout cela tient-il ensemble? Je croise des gens par dizaines, je vois des faces prĂ©occupĂ©es, j'ai l'impression parfois de lire dans leurs pensĂ©es. Tout le monde est triste. Pas autant que moi, mais tout le monde laisse des traĂźnĂ©es de tristesse. Parfois j'aperçois un sourire dĂ©concentrĂ© ou plus Ă©mouvant encore un rictus qui semble se diriger vers moi, c'est peut-ĂȘtre faux, ce n'est peut-ĂȘtre toujours que de la distraction, mais ça me tue, c'est comme un laser, ça crie toujours pourquoi dans ma tĂȘte, ça le crie toujours plus fort, pourquoi, comment est-ce possible, pourquoi dois-je dĂ©cider, Ă propos de tout, si c'est beau ou laid, si ça mĂ©rite d'exister, plus que moi, moins que moi, plus que n'importe quoi d'autre qui n'existe pas, mais qui le pourrait.
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Alexie Morin (Royauté)
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Les lois sacrĂ©es (sharĂąâiâ) sont toutes des lumiĂšres. La loi de Muhammad â quâAllĂąh rĂ©pande sur lui Sa GrĂące unitive et Sa Paix !- est parmi ces lumiĂšres comme le soleil (5) : les lumiĂšres des planĂštes sont Ă la fois prĂ©sentes et cachĂ©es, ce qui est comparable aux abrogations opĂ©rĂ©es par sa loi â sur lui la GrĂące et la Paix ! â en dĂ©pit de la prĂ©sence des Lois antĂ©rieures. Câest pourquoi cette Loi universelle qui est nĂŽtre implique nĂ©cessairement pour nous la Foi en lâensemble des prophĂštes ; nous devons croire que les Lois quâils ont communiquĂ©es sont lâexpression dâun Droit sacrĂ© vĂ©ritable (haqq) (6). Leur abrogation ne signifie nullement quâelles sont mensongĂšres : cette derniĂšre opinion est celle des ignorants ! » (7)
(5) Il ne sâagit pas dâune simple image, mais dâun symbolisme prĂ©cis liĂ© Ă la fonction solaire de sayyidnĂą IdrĂźs, ce que confirme lâindication complĂ©mentaire donnĂ©e aussitĂŽt, selon laquelle les Lois antĂ©rieures Ă lâIslam sont compatibles aux « lumiĂšres des planĂštes ».
(6) Ceci est liĂ© selon Ibn ArabĂź, Ă la fonction de la Pierre Noire qui, au Jour du Jugement, tĂ©moignera en faveur de ceux qui lâauront « touchĂ©e avec vĂ©ritĂ© », câest-Ă -dire qui auront Ă©tĂ© fidĂšles au Pacte primordial conclu entre AllĂąh et les « descendants dâAdam », quelle que soit la Loi sacrĂ©e quâils auront suivie.
(7) Futûhùt, chap.339.
[Extrait du chap 339 des FUTUHAT AL-MAKKIYYA traduit par Charles-André Gilis,in "L'Esprit universel de l'Islam".]
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Charles-André Gilis
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Ce sont des gosses en Ă©chec scolaire, m'explique-t-il, la mĂšre est seule le plus souvent, certains ont dĂ©jĂ eu des ennuis avec la police, ils ne veulent pas entendre parler des adultes, ils se retrouvent dans des classes relais, quelque chose comme tes classes amĂ©nagĂ©es des annĂ©es soixante-dix, je suppose. Je prends les caĂŻds, les petits chefs de quinze ou seize ans, je les isole provisoirement du groupe, parce que c'est le groupe qui les tue, toujours, il les empĂȘche des e constituer, je leur colle une camĂ©ra dans les mains et je leur confie un de leurs potes Ă interviewer, un gars qu'ils choisissent eux-mĂȘmes. Ils font l'interview seuls dans un coin, loin des regards, ils reviennent, et nous visionnons le film tous ensemble, avec le groupe, cette fois. Ăa ne rate jamais : l'interviewĂ© joue la comĂ©die habituelle devant l'objectif, et celui qui filme entre dans son jeu. Ils font les mariolles, ils en rajoutent sur leur accent, ils roulent des mĂ©caniques dans leur vocabulaire de quatre sous en gueulant le plus fort possible, comme moi quand j'Ă©tais mĂŽme, ils en font des caisses, comme s'ils s'adressaient au groupe, comme si le seul spectateur possible, c'Ă©tait le groupe, et pendant la projection leurs copains se marrent. Je projette le film une deuxiĂšme, une troisiĂšme, une quatriĂšme fois. Les rires s'espacent, deviennent moins assurĂ©s. L'intervieweur et l'interviewĂ© sentent monter quelque chose de bizarre, qu'ils n'arrivent pas Ă identifier. Ă la cinquiĂšme ou Ă la sixiĂšme projection, une vraie gĂȘne s'installe entre leur public et eux. Ă la septiĂšme ou Ă la huitiĂšme (je t'assure, il m'est arrivĂ© de projeter neuf fois le mĂȘme film !), ils ont tous compris, sans que je le leur explique, que ce qui remonte Ă la surface de ce film, c'est la frime, le ridicule, le faux, leur comĂ©die ordinaire, leurs mimiques de groupe, toutes leurs Ă©chappatoires habituelles, et que ça n'a pas d'intĂ©rĂȘt, zĂ©ro, aucune rĂ©alitĂ©. Quand ils ont atteint ce stade de luciditĂ©, j'arrĂȘte les projections et je les renvoie avec la camĂ©ra refaire l'interview, sans explication supplĂ©mentaire. Cette fois on obtient quelque chose de plus sĂ©rieux, qui a un rapport avec leur vie rĂ©elle ; ils se prĂ©sentent, ils disent leur nom, leur prĂ©nom, ils parlent de leur famille, de leur situation scolaire, il y ades silences, ils cherchent leurs mots, on les voit rĂ©flĂ©chir, celui qui rĂ©pond autant que celui qui questionne, et, petit Ă petit, on voit apparaĂźtre l'adolescence chez ces adolescents, ils cessent d'ĂȘtre des jeunes quis 'amusent Ă faire peur, ils redeviennent des garçons et des filles ed leur Ăąge, quinze ans, seize ans, leur adolescence traverse leur apparence, elle s'impose, leurs vĂȘtements, leurs casquettes redeviennent des accessoires, leur gestuelle s'attĂ©nue, instinctivement celui qui filme resserre le cadre, il zoome, c'est leur visage qui compte maintenant, on dirait que l'interviewer Ă©coute le visage de l'autre, et sur ce visage, ce qui apparaĂźt, c'est l'effort de comprendre, comme s'ils s'envisageaient pour la premiĂšre fois tels qu'ils sont : lis font connaissance avec la complexitĂ©. (p. 236-237)
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Daniel Pennac (Chagrin d'Ă©cole)
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si les sciences qui intĂ©ressent tant les Occidentaux nâavaient jamais acquis antĂ©rieurement un dĂ©veloppement comparable Ă celui quâils leur ont donnĂ©, câest quâon nây attachait pas une importance suffisante pour y consacrer de tels efforts. Mais, si les rĂ©sultats sont valables lorsquâon les prend chacun Ă part (ce qui concorde bien avec le caractĂšre tout analytique de la science moderne), lâensemble ne peut produire quâune impression de dĂ©sordre et dâanarchie ; on ne sâoccupe pas de la qualitĂ© des connaissances quâon accumule, mais seulement de leur quantitĂ© ; câest la dispersion dans le dĂ©tail indĂ©fini. De plus, il nây a rien au-dessus de ces sciences analytiques : elles ne se rattachent Ă rien et, intellectuellement, ne conduisent Ă rien ; lâesprit moderne se renferme dans une relativitĂ© de plus en plus rĂ©duite, et, dans ce domaine si peu Ă©tendu en rĂ©alitĂ©, bien quâil le trouve immense, il confond tout, assimile les objet les plus distincts, veut appliquer Ă lâun les mĂ©thodes qui conviennent exclusivement Ă lâautre, transporte dans une science les conditions qui dĂ©finissent une science diffĂ©rente, et finalement sây perd et ne peut plus sây reconnaĂźtre, parce quâil lui manque les principes directeurs. De lĂ le chaos des thĂ©ories innombrables, des hypothĂšses qui se heurtent, sâentrechoquent, se contredisent, se dĂ©truisent et se remplacent les unes les autres, jusquâĂ ce que, renonçant Ă savoir, on en arrive Ă dĂ©clarer quâil ne faut chercher que pour chercher, que la vĂ©ritĂ© est inaccessible Ă lâhomme, que peut-ĂȘtre mĂȘme elle nâexiste pas, quâil nây a lieu de se prĂ©occuper que de ce qui est utile ou avantageux, et que, aprĂšs tout, si lâon trouve bon de lâappeler vrai, il nây a Ă cela aucun inconvĂ©nient. Lâintelligence qui nie ainsi la vĂ©ritĂ© nie sa propre raison dâĂȘtre, câest-Ă -dire quâelle se nie elle-mĂȘme ; le dernier mot de la science et de la philosophie occidentales, câest le suicide de lâintelligence ;
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René Guénon (East and West)
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En tout Ă©tat de cause, il importe de reconnaĂźtre la plasticitĂ© du capitalisme qui, depuis 1848, dĂ©joue tous les pronostics relatifs Ă sa fin inĂ©luctable. Sa capacitĂ© Ă se transformer, Ă contrecarrer ses propres dysfonctionnements et Ă se rĂ©organiser ne saurait ĂȘtre sous-estimĂ©e, mĂȘme si l'on peut aussi admettre qu'il bute dĂ©sormais sur des contradictions et des limites sans cesse plus ardues Ă surmonter, notamment du fait de la difficultĂ© Ă rĂ©investir des capitaux dont le volume croĂźt exponentiellement et Ă Ă©tendre suffisamment la sphĂšre de la valeur pour rĂ©aliser des profits consĂ©quents. Certes, la relance de la production-pour-le-profit paraĂźt encore envisageable, mais au prix de tensions et de problĂšmes dont l'Ă©chelle ne cesse de croĂźtre. On ne saurait affirmer sans pĂ©ril que le capitalisme bute sur une limite absolue, mais il est sans doute raisonnable de considĂ©rer que la crise ouverte en 2007-2008 rĂ©vĂšle les obstacles de plus en plus massifs que la dynamique du capitalisme doit surmonter ou contourner pour continuer Ă se perpĂ©tuer. L'ensemble des contradictions dĂ©jĂ soulignĂ©es (spirale de l'endettement et du crĂ©dit, croissance exponentielle des capitaux Ă rĂ©investir, restriction tendancielle du travail vivant nĂ©cessaire, caractĂšre limitĂ© des ressources naturelles fossile, consĂ©quences de la dĂ©gradation des Ă©cosystĂšmes et du changement climatique) semble condamner la reproduction du capitalisme Ă acquĂ©rir un caractĂšre de plus en plus tensif, au sein d'un dispositif d'ensemble sans cesse plus complexe et porteur de lourdes contraintes. C'est au cĆur de telles tensions que l'insubordination suscitĂ©e par les coĂ»ts humains et Ă©cologiques de la reproduction d'un tel systĂšme vient se loger. (p. 24-25)
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JĂ©rĂŽme Baschet
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Pour donner consistance à cette révolution du temps, il suffit de commencer à énumérer les domaines de production de biens et de services dont l'existence actuelle ne se soutient que de la logique de la société marchande, de la double nécessité d'accroßtre sans cesse la production-pour-le-profit et de reproduire l'organisation sociopolitique qui la rend possible. Osons donc trancher à la racine et mesurer l'ampleur des secteurs qui, dans une société non marchande, soucieuse de surcroßt d'écarter toute séparation entre gouvernants et gouvernés, deviendraient parfaitement superflus. On peut éliminer sans hésiter tout le personnel militaire et policier, poursuivre avec les banques, le systÚme financier et les assurances (ces derniÚres seules pÚsent aujourd'hui 15 % du PIB mondial), sans se priver du plaisir d'ajouter la publicité et le marketing( qui absorbent 500 milliards de dépenses annuelles, soit prÚs d'un tiers des budgets militaires mondiaux). Finalement, le principe d'un autogouvernement à tous les échelons, tel qu'on l'a suggéré dans le chapitre précédent, condamnerait l'ensemble des bureaucraties nationales et internationales à une complÚte inutilité.
Dens pans considĂ©rables de l'appareil industriel seront abandonnĂ©s, Ă commencer par la production d'armes et d'Ă©quipements militaires. Les impĂ©ratifs Ă©cologiques et l'affirmation de l'agriculture paysanne rendront caduque une grande partie de l'industrie chimique (notamment l'Ă©crasant secteur agrochimique) comme des biotechnologies fortement contestĂ©es (OGM notamment). Le secteur agroalimentaire, exemple type d'une marchandisation perverse des formes de production, s'Ă©vanouira, au profit d'une valorisation de l'autoproduction et des circuits locaux de production/consommation. [âŠ] on voit que chaque abandon de production de biens et de services aura des effets dĂ©multiplicateurs importants, puisque les besoins en Ă©difices (bureaux, installations industrielles), en matĂ©riaux et en Ă©nergie, en infrastructures et en transports, s'en trouveront diminuĂ©s d'autant. Le secteur de la construction sera par consĂ©quent ramenĂ© Ă une Ă©chelle bien plus raisonnable qu'aujourd'hui, ce qu'accentuerait encore la rĂ©gĂ©nĂ©ration des pratiques d'autoconstruction (ou du moins une participation directe des utilisateurs eux-mĂȘmes, aux cĂŽtĂ©s d'artisans plus expĂ©rimentĂ©s). Chaque suppression dans la production de biens et de services Ă©liminera Ă son tour toutes les productions nĂ©cessaires Ă son installation, Ă son fonctionnement, sans oublier la gestion des dĂ©chets engendrĂ©s par chacune de ces activitĂ©s. Pour donner un exemple parmi tant d'autres, la suppression de la publicitĂ© (jointe Ă celle des bureaucraties et Ă d'autres changements technico-culturels) entraĂźnera une diminution considĂ©rable de la consommation de papier, c'est-Ă -dire aussi de toute la chaĂźne industrielle qui lui est associĂ©e, dans laquelle il faut inclure exploitation forestiĂšre, produits chimiques, matĂ©riaux nĂ©cessaires aux installations industrielles, transport, etc.
Sans nier la pertinence de maintenir des Ă©changes Ă longue distance, le fait de privilĂ©gier, dans toute la mesure du possible, les activitĂ©s locales et de supprimer les absurdes dĂ©tours de production qui caractĂ©risent l'Ă©conomie capitaliste (lesquels mĂšnent, par exemple, l'ail chinois jusqu'en Europe et de l'eau - oui, de l'eau ! - des Alpes jusqu'au Mexique) rĂ©duira Ă peu de chose la chaĂźne commerciale actuelle et restreindra encore les besoins en transport. Joint Ă l'abandon d'une logique de production et d'organisation centrĂ©e sur l'automobile et le fĂ©tichisme Ă©golĂątre qui la soutient, tout cela entraĂźnera une forte contraction de la consommation Ă©nergĂ©tique, qui pourra ĂȘtre satisfaite grĂące aux Ă©nergies renouvelables, produites, dans la mesure du possible, localement. En consĂ©quence, tout ce qui fonde le poids Ă©crasant du secteur Ă©nergĂ©tique dans l'Ă©conomie mondiale actuelle s'Ă©vanouira pour l'essentiel. (p. 91-92)
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JĂ©rĂŽme Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
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On pourrait Ă©voquer Ă ce sujet un autre ensemble de phĂ©nomĂšnes modernes typiques qui, partant de la vie la plus banale, investissent aussi le plan de la culture. En effet, la tendance sadique au sens large s'exprime Ă©galement dans un aspect de l'art et de la littĂ©rature, lorsque ceux-ci se complaisent Ă mettre en Ă©vidence des types et des situations se rapportant Ă une humanitĂ© brisĂ©e, vaincue ou corrompue. Le prĂ©texte bien connu, c'est que « cela aussi, c'est la vie », ou encore que tout cela doit ĂȘtre montrĂ© dans le seul but de provoquer une rĂ©action. En rĂ©alitĂ©, ce qui agit ici, c'est plutĂŽt ce que les Allemands appellent la Schadenfreude, la joie de salir, plaisir pervers et variĂ©tĂ© de sadisme, de complaisance sadique. On jouit en voyant non l'homme debout, mais l'homme dĂ©chu, ratĂ© ou dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©. On apprĂ©cie en somme, non la limite supĂ©rieure, mais la limite infĂ©rieure de la condition humaine (on pourrait renvoyer ici, en partie du moins, Ă ce que nous dirons plus loin au sujet du « rire des dieux »). II fut un temps oĂč c'Ă©taient surtout des Ă©crivains et artistes juifs (ou russes) qui donnaient le ton dans ce domaine ; aujourd'hui, la chose est rĂ©pandue partout.
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Julius Evola (L'arco e la clava)
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Ce qu'il dit, c'est que c'est une chose Ă©trange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire Ă un truc aussi insensĂ© que la religion chrĂ©tienne, un truc exactement du mĂȘme genre que la mythologie grecque ou les contes de fĂ©es. Dans les temps anciens, admettons : les gens Ă©taient crĂ©dules, la science n'existait pas. Mais aujourd'hui ! Un type qui aujourd'hui croirait Ă des histoires de dieux qui se transforment en cygnes pour sĂ©duire des mortelles, ou Ă des princesses qui embrassent des crapauds et quand elles les embrassent ils deviennent des princes charmants, tout le monde dirait : il est fou. Or, un tas de gens croient une histoire tout aussi dĂ©lirante et ces gens ne passent pas pour des fous. MĂȘme sans partager leur croyance, on les prend au sĂ©rieux. Ils ont un rĂŽle social, moins important que par le passĂ©, mais respectĂ© et dans l'ensemble plutĂŽt positif. Leur lubie cohabite avec des activitĂ©s tout Ă fait sensĂ©es. Les prĂ©sidents de la RĂ©publique rendent visite Ă leur chef avec dĂ©fĂ©rence. C'est quand mĂȘme bizarre, non ? (p. 15)
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Emmanuel CarrĂšre (Le Royaume)
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Lorsquâon observe des transcriptions de classe pendant les temps collectifs, quel que soit le niveau de classe, on constate que 75 % du temps environ est occupĂ© par la parole de lâenseignant. La plupart des productions orales des Ă©lĂšves sont prises en sandwich entre une question (« Qui⊠? », « Pourquoi ? ») et une Ă©valuation (« Pas tout Ă fait⊠», « Le Nil est le plus long oui trĂšs bien⊠»). Les interventions de lâenseignant sont des consignes, des directives comportementales, des informations complĂ©mentaires, et sâadressent tantĂŽt Ă lâensemble de la classe, tantĂŽt Ă un Ă©lĂšve ou plusieurs Ă©lĂšves dĂ©signĂ©s. Si 75 % du temps est occupĂ© par la parole de lâenseignant, cela conduit mathĂ©matiquement Ă un partage des 25 % de lâespace de production orale restant entre Ă©lĂšves. Sâils sont 25, et tous gentils et polis, ils auront 1 % chacunâŠ
Lâexpression « cours dialoguĂ© » est une erreur. Un dialogue se dĂ©roule Ă deux, si on parle de cours dialoguĂ©, alors on considĂšre lâensemble des Ă©lĂšves comme un seul homme. Or les Ă©lĂšves forment un groupe classe Ă gĂ©omĂ©trie variable : de petits groupes de travail, des groupes dâaffinitĂ©s, des groupes de niveau, des individualitĂ©s juxtaposĂ©es. Le flot de paroles et la situation dâinterlocution Ă plus de 25 obligent les Ă©lĂšves Ă sâadapter au fil continu de la dĂ©finition des rĂŽles interlocutifs dans la classe. En effet, câest quasi Ă chaque tour de parole que lâenseignant dĂ©finit ceux qui seront simples tĂ©moins dâun Ă©change, et ceux qui seront directement concernĂ©s par une requĂȘte. (p. 20)
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Nathalie Francols (Profs et élÚves, apprendre ensemble - Situations quotidiennes à comprendre et à dénouer)
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Ă partir de cet exemple et de ses recherches, Damasio est lâun des premiers neuroscientifiques Ă montrer comment dans la vie, aucune dĂ©cision nâest prise exclusivement rationnellement. De nombreux chercheurs le dĂ©montrent aujourdâhui avec prĂ©cision. Combien de fois avez-vous rempli des lignes de pour et de contre pour aboutir au statut quo face Ă une dĂ©cision Ă prendre ? Dans tout processus dĂ©cisionnel, le choix se rĂ©alise par comparaison entre les scĂ©narios quâon imagine : si je fais ceci, jâobtiendrai cela. Toute dĂ©cision change la situation quâil faut Ă nouveau analyser pour Ă nouveau choisir. Il y a les petits choix de la vie quotidienne qui se dĂ©roulent le plus souvent en pilotage automatique, et les choix plus importants pour eux qui tournent en boucle dans la tĂȘte et qui empĂȘchent de dormir). il y a enfin toutes les situations ou lâon ne choisit pas vraiment (en tout cas pas consciemment) parce quâon est en mode rĂ©actionnel. Dans ces situations, on nâagit pas pour obtenir quelque chose, mais parce que quelque chose. Nous reviendrons sur ce point car câest lâun des meilleurs moyens de ne pas rĂ©soudre un problĂšme. Si lâun des scenarii a plus de poids quâun autre, câest en fonction de lâĂ©motion que lâon ressent Ă sa mise en image dans notre esprit. Câest ce penchant affectif, parfois trĂšs faible ou trĂšs intense, qui conduit Ă choisir. Lâaffectif est un support au rationnel, lâun et lâautre ne sâopposent pas. Pour acheter un yaourt nature ou aux fruits, pour mettre un point de plus Ă une copie, pour interroger un Ă©lĂšve ou un autre, pour changer dâĂ©tablissement ou se sĂ©parer dâun conjoint, le processus est le mĂȘme : nous imaginons le scĂ©nario consĂ©quent Ă telle dĂ©cision et nous choisissons celui qui nous plaĂźt le plus ou nous dĂ©plaĂźt le moins. Comme le sel, lâaffecte est un exhausteur de goĂ»t, il donne une saveur agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able Ă un scĂ©nario particulier. Et nous choisissons lâaction qui mettra en acte le scĂ©nario que nous trouvons Ă notre goĂ»t.
Au lieu dâopposer raison et Ă©motion, il faut pouvoir associer les deux en se permettant de penser sur ses sentiments et de ressentir ses idĂ©es. (p. 55)
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Nathalie Francols (Profs et élÚves, apprendre ensemble - Situations quotidiennes à comprendre et à dénouer)
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Toutes les sociĂ©tĂ©s humaines ont besoin de justifier leurs inĂ©galitĂ©s : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi câest lâensemble de lâĂ©difice politique et social qui menace de sâeffondrer.
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Thomas Piketty
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Ce qu'elle prend pour de vraies pensĂ©es lui vient quand elle est seule ou en promenant l'enfant. Les vraies pensĂ©es ne sont pas pour elle des rĂ©flexions sur les façons de parler et de s'habiller des gens, la hauteur des trottoirs pour la poussette, l'interdiction des Paravents de Jean Genet et la guerre au Vietnam, mais des questions sur elle-mĂȘme, l'ĂȘtre et l'avoir, l'existence. C'est l'approfondissement de sensations fugitives, impossibles Ă communiquer aux autres, tout ce que, si elle avait le temps d'Ă©crire - elle n'a mĂȘme plus celui de lire -, serait la matiĂšre de son livre. Dans son journal intime, qu'elle ouvre trĂšs rarement comme s'il constituait une menace contre la cellule familiale, qu'elle n'ait plus le droit Ă l'intĂ©rioritĂ©, elle a notĂ© : "Je n'ai plus d'idĂ©es du tout. Je n'essaie plus d'expliquer ma vie" et "je suis une petite-bourgeoise arrivĂ©e."
Elle a l'impression d'avoir dĂ©viĂ© de ses buts antĂ©rieurs, de n'ĂȘtre plus que dans une progression matĂ©rielle. "J'ai peur de m'installer dans cette vie calme et confortable, d'avoir vĂ©cu sans m'en rendre compte". Au moment mĂȘme oĂč elle fait ce constat, elle sait qu'elle n'est pas prĂȘte Ă renoncer Ă tout ce qui ne figure jamais dans ce journal intime, cette vie ensemble, cette intimitĂ© partagĂ©e dans un mĂȘme endroit, l'appartement qu'elle a hĂąte de retrouver les cours finis, le sommeil Ă deux, le grĂ©sillement du rasoir Ă©lectrique le matin, le conte des Trois petits cochons le soir, cette rĂ©pĂ©tition qu'elle croit dĂ©tester et qui l'attache, dont un Ă©loignement momentanĂ© de trois jours pour passer le Capes lui a fait sentir le manque - tout ce qui, quand elle en imagine la perte accidentelle, lui serre le coeur.
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Annie Ernaux (Les Années)
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Travaux en vert («opĂ©rations en vert» ou «façons en vert»)âopposĂ©s aux «travaux dâhiver» â sont, disent les dictionnaires, «l'ensemble des opĂ©rations culturales (rognage, lâĂ©bourgeonnage, Ă©claircissages, la vendange en vert, le pincement, lâĂ©cimage, le rognage, l'entre-cĆur, lâeffeuillage etc.) que les vignerons pratiquent sur la vigne au cours de la pĂ©riode vĂ©gĂ©tative» et «ils ont le plus souvent pour but de favoriser le mĂ»rissement des grappes». Travaux en vert câest, donc, une mĂ©taphore qui renvoie Ă des choses trĂšs prĂ©cises. Comme pour la vigne et pour le bon vin sont nĂ©cessaires toutes sortes de «travaux», parfois, quand la culture devient «sauvage» (par l'abandon aussi) des «opĂ©rations», des «travaux» de toutes sortes sont, de mĂȘme nĂ©cessaires. C'est la conclusion du personnage du livre, prof Ă la FacultĂ© de Lettres (comme moi), qui doit parler de la poĂ©sie devant un «public» qui a perdu complĂštement, par ignorance aussi, le goĂ»t de la poĂ©sie, la vraie. La prof essaie de faire ses «travaux» et son «plaidoyer pour la poĂ©sie» dâune façon «alternative», en mĂ©langeant des citations des grands Ă©crivains et des allusions Ă la culture underground ou Ă la culture pop, des personnages de bandes dessinĂ©es et de Muppetâs Show, des films, des groupes de musiques etc. etc.
J'ai fait, en 324 pages, une sorte d'histoire de la poésie, avec la participation des poÚtes de partout, de tous les temps. J'ai convoqué aussi «les hypocrites lecteurs» (semblables et frÚres!). J'espÚre que les fragments du livre roumain traduit en français peuvent donner une idée du projet de ce... Bildungspoem.
(p. 9-10)
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Simona Popescu (LucrÄri Ăźn verde sau Pledoaria mea pentru poezie)
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Je veux te parler des longues heures de queue qu'on faisait ensemble, en sortant du travail, aprĂšs t'avoir rĂ©cupĂ©rĂ©e Ă la crĂšche. Les longues files d'attente debout, avec toi dans les bras, ces queues larges qui ressemblaient plutĂŽt Ă des manifestations, stagnant devant les magasins alimentaires fermĂ©s, en attendant l'ouverture. On se battait pour ĂȘtre parmi les premiers, car il n'y avait jamais assez pour tout le monde, et ceux qui formaient la queue de la queue partaient Ă coup sĂ»r la queue entre les jambes. Mais ils restaient quand mĂȘme, croyant, espĂ©rant un miracle. Pouvait-on se permettre de laisser passer une chance, aussi petite soit-elle? Tiens, je me rappelle d'une queue particuliĂšrement longue, une queue que j'ai quittĂ©e en pleurant. Tu avais deux, trois ans. J'avais les rĂšgles et un mal au ventre et aux reins terrible. Il me tardait de rentrer Ă la maison, me doucher et m'allonger un peu. Mais en descendant du bus, j'ai vu des gens se ruer Ă travers la place, vers le cĂŽtĂ© opposĂ© du centre-ville. Ventre ou pas ventre, j'ai suivi la foule en courant, toi dans les bras. Il fallait toujours, toujours, suivre une foule en dĂ©placement au pas de charge, car personne ne courait pour rien, lĂ -bas. C'est seulement ici, en France, que j'ai vu des gens courir pour rien: ils font du footing, pour ne pas ĂȘtre trop gros. LĂ -bas, on courait pour ne pas ĂȘtre trop maigre. LĂ -bas, ça se passait comme ça: je ne saurai jamais comment, quelqu'un arrivait Ă avoir une formation (fondĂ©e ou non), et il donnait l'alerte: « ils vont vendre des Ćufs Ă tel endroit », ou du fromage, ou des poulets, (ça, les poulets, c'Ă©tait plus rare et la plupart du temps une chimĂšre). Ou du dentifrice, ou du papier cul. Tout Ă©tait bon Ă prendre car on ne pouvait pas savoir quand un autre arrivage viendrait.
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Cristina Andreescu (Du communisme au capitalisme Lettre Ă ma fille (French Edition))
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Dans l'ensemble de l'aire culturelle mĂ©diterranĂ©enne, et pas seulement en terre d'Islam, la femme est depuis longtemps soumise Ă l'ordre patriarcal et ne se dĂ©finit que par rapport aux hommes. Au Maghreb, elle n'a pas d'existence propre et autonome, Fatima ne sera jamais Fatima. Elle est donc fille bint Mustapha (fille de), ou mĂšre oum Mustapha (mĂšre de) ou ekht Mustapha (sĆur de), selon son lien de parentĂ© avec l'homme Mustapha. Hors de ces catĂ©gories, point de salut pour les femmes dans la doxa salafiste. Or l'Ă©mancipation progressive par l'Ă©ducation des filles de familles immigrĂ©es dans les annĂ©es 70 et 80 mĂšne tout droit et rapidement Ă l'effacement de ce schĂ©ma ainsi qu'Ă des phĂ©nomĂšnes de fusion culturelle ou mĂȘme familiale et a fortiori matrimoniale qui mettraient en pĂ©ril le contrĂŽle des fondamentalistes sur leur masse de manĆuvre. L'idĂ©e est donc de ramener les femmes Ă leur Ă©tat de domination et de contrĂŽle par les mĂąles eux-mĂȘmes dĂ©jĂ en voie de sĂ©paratisme.
Difficile de faire appel Ă l'auctoritas patris. Dans les familles immigrĂ©es du Maghreb et du Sahel, les pĂšres n'ont d'une façon gĂ©nĂ©rale qu'une autoritĂ© limitĂ©e. Ils sont parfois absents et souvent dĂ©considĂ©rĂ©s pour ne pas avoir trouvĂ© dans la sociĂ©tĂ© d'accueil le statut et les revenus que la famille espĂ©rait. On ne peut guĂšre compter sur eux pour ramener "dans le droit chemin" des filles qui leur ont dĂ©jĂ Ă©chappĂ© par l'Ă©cole. Les mĂšres n'ayant pas voix au chapitre, c'est donc aux grands-frĂšres qu'il incombera de faire sortir leurs sĆurs et leurs femmes des chemins de l'intĂ©gration pour les isoler, les soustraire aux tentations modernistes occidentales impies et les placer sous la coupe des salafistes.
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Alain Chouet (Sept pas vers l'enfer. Séparatisme islamique : les désarrois d'un officier de renseignement (French Edition))
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La tsédaka n'est pas qu'un simple principe de générosité. C'est non seulement un vrai projet messianique pour le monde, un bouleversement, mais également une rÚgle à suivre quotidiennement, une discipline personnelle qui, comme toute chose dans notre tradition, est expliqué dans les moindres détails.
Ensemble
(extrait du mot de la fin, par Yeshaya Dalsace, Rabbin de la communauté Maayane Or, Nice)
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GeneviĂšve Brisac
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fallait se soumettre Ă cet indispensable carnaval, seul remĂšde contre la fatalitĂ© de lâamour et le pouvoir dissolvant de la routine que subissent tous les amoureux lorsque, aprĂšs avoir Ă©tĂ© deux amants distincts, ils ne deviennent plus quâun couple ensemble. Câest le dĂ©but de la grande installation, le grand oubli de soi et de lâautre, la fin du grand mensonge qui leur avait permis, jusquâalors, dâĂȘtre parfaits, beaux, impeccables et sentant toujours bon, et qui soudain autorise tous les laisser-aller : vĂȘtements confortables, pantalons Ă©lastiques, bedaine qui pousse, poils disgracieux, mauvaise haleine. « ChĂ©ri, tu peux mâapporter du papier-toilette, sâil te plaĂźt ? » Le plateau-repas devant le film du soir. Sâendormir comme deux sacs sur le canapĂ©, la tĂ©lĂ©vision Ă plein tube, avec bouche ouverte, ronflements et tout le tralala. Jamais ! sâĂ©tait promis Lev. Pas avec Anastasia ! PlutĂŽt mourir.
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Joël Dicker (L'Enigme de la chambre 622 (French Edition))
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Comme c'est eÌtrange que des eÌtres qui s'estiment, s'aiment, ne puissent cohabiter longtemps sans que leurs rapports ne se deÌteÌriorent. Comme si l'amitieÌ, l'amour avaient besoin d'espace pour perdurer. Et en meÌme temps, cet eÌloignement physique, qui garde intacts les sentiments que l'on a pour l'autre et qui embellit le souvenir, nous eÌloigne aÌ jamais de l'autre s'il dure trop longtemps. On a l'impression que les hommes ne se rencontrent que pour faire un bout de chemin ensemble, pour une dureÌe et une expeÌrience bien preÌcises, avant de se seÌparer pour permettre aÌ chacun d'avancer tout seul dans ce labyrinthe qu'est la vie ou avant d'eÌtre seÌpareÌs par la mort. Que retient l'homme de ces seÌparations souvent douloureuses?
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AngĂšle Rawiri (The Fury and Cries of Women (CARAF Books: Caribbean and African Literature Translated from French))
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L'autre erreur que nous avons faite, c'est de laisser cette petite minoritĂ© dĂ©cider seule du prĂ©sent et du futur qu'elle voulait pour nous. L'idĂ©al d'efficacitĂ© et d'optimisation que ces technologies vĂ©hiculent n'est pas celui de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble, mais bien celui spĂ©cifique Ă l'esprit start-up. Leurs employĂ©s sont une foule de jeunes hommes privilĂ©giĂ©s, sans obligations familiales, associatives ou communautaires, qui s'autocongratulent de leur capacitĂ© Ă abattre un nombre invraisemblable d'heures de travail sans voir que leurs succĂšs ne sont possibles que grĂące Ă d'autres emplois souvent sous-payĂ©s, voire non payĂ©s. C'est aussi dans cet esprit qu'ils dĂ©cident de la maniĂšre dont ils construisent leurs modĂšles algorithmiques (comme ils l'entendent), les rĂ©sultats susceptibles d'ĂȘtre mis sur le marchĂ© (ceux qui leur plaisent), des secteurs de la sociĂ©tĂ© mĂ©ritant d'ĂȘtre pris d'assaut par leurs inventions (tous), des donnĂ©es utilisables pour parvenir Ă leurs objectifs (toutes).
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Mathilde Saliou (Technoféminisme)
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Ceux qui liront mon livre me connaĂźtront : peut-ĂȘtre est-il au dessous de moi, mais il est bien moi ; je ne l'ai point fait pour le faire, je n'ai rien dĂ©guisĂ©, c'est un tout, un ensemble, corollairement juxta-posĂ©, de cris de douleur et de joie jetĂ©s au milieu d'une enfance rarement dissipĂ©e, souvent dĂ©tournĂ©e et toujours misĂ©rable.
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PETRUS BOREL 1809-1859
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Ils se donnĂšrent la main en remontant Ă la surface.
La main, c'est bien.
Ăa n'engage pas trop celui qui la donne et ça apaise beaucoup celui qui la reçoit...
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout. 2 Mp3-CDs (French Edition))
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De mĂȘme que dans le cadre du schĂ©ma trifonctionnel chrĂ©tien, lâordre brahmanique exprime Ă sa façon un idĂ©al dâĂ©quilibre entre diffĂ©rentes formes de lĂ©gitimitĂ© Ă gouverner. Dans les deux cas, il sâagit au fond de faire en sorte que la force brute des rois et des guerriers ne nĂ©glige pas les sages conseils des clercs et des lettrĂ©s, et que le pouvoir politique sâappuie sur les connaissances et le pouvoir intellectuel. Il est intĂ©ressant de rappeler que Gandhi, qui reprochait aux Britanniques dâavoir rigidifiĂ© les frontiĂšres entre castes autrefois fluides, afin de mieux diviser et dominer lâInde, avait dans le mĂȘme temps une attitude relativement respectueuse et conservatrice face Ă lâidĂ©al brahmanique. Certes Gandhi militait pour que la sociĂ©tĂ© hindoue devienne moins inĂ©galitaire et plus inclusive vis-Ă -vis de ses classes les plus basses, en particulier vis-Ă -vis des shudra et des « intouchables », qui rassemblaient des catĂ©gories discriminĂ©es plus basses encore que les shudra au sein de lâordre hindou, placĂ©es en marge de la sociĂ©tĂ©, parfois du fait dâoccupations jugĂ©es impropres, liĂ©es notamment Ă lâabattage des animaux et au travail des peaux.
Mais Gandhi insistait dans le mĂȘme temps sur le rĂŽle essentiel jouĂ© par les
brahmanes, ou tout du moins par ceux qui se comportaient comme tels Ă ses yeux,
câest-Ă -dire sans arrogance et sans ĂąpretĂ©, mais au contraire avec bienveillance et
grandeur dâĂąme, en mettant leur sagesse et leurs connaissances de lettrĂ©s au service
de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. Lui-mĂȘme rattachĂ© au groupe deux-fois-nĂ© des
vaishya, Gandhi prit dans de nombreux discours publics, en particulier Ă Tanjore en
1927, la défense de la logique de complémentarité fonctionnelle qui était selon lui à la base de la société hindoue traditionnelle. En reconnaissant le principe de
lâhĂ©rĂ©ditĂ© dans la transmission des talents et des occupations, non pas comme rĂšgle
absolue et rigide mais comme un principe général pouvant admettre des exceptions
individuelles, le régime des castes permettait selon lui de donner une place à chacun,
et dâĂ©viter la compĂ©tition gĂ©nĂ©ralisĂ©e entre groupes sociaux, la guerre de tous contre
tous, et en particulier la guerre des classes Ă lâoccidentale . Surtout, Gandhi se mĂ©fiait plus que tout de la dimension anti-intellectuelle des discours antibrahmaniques. Il considĂ©rait que la sobriĂ©tĂ© et la sagesse des lettrĂ©s, vertus auxquelles il se rattachait par sa pratique personnelle (bien que non-brahmane lui- mĂȘme), Ă©taient des qualitĂ©s sociales indispensables pour lâharmonie gĂ©nĂ©rale. Il se mĂ©fiait aussi du matĂ©rialisme occidental et de son goĂ»t immodĂ©rĂ© pour lâaccumulation de richesses et de pouvoir.
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Thomas Piketty (Capital and Ideology)
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Ils usent de toutes leurs ruses, mais la seule chose qui naĂźt au fil des heures, c'est le respect de l'un de l'autre, et l'idĂ©e, peut-ĂȘtre, que lorsque deux frĂšres s'affrontent, ils ne peuvent que mourir ensemble, d'un seul coup.
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Laurent Gaudé (Salina - Classiques et Contemporains)
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Revenons sur les cinq Ă©lĂ©ments qui nous conditionnent : â   Tout dâabord, lâĂ©tat Ă©motionnel et psychologique dans lequel nous nous trouvons quand nous considĂ©rons les Ă©vĂ©nements ou que nous prenons des dĂ©cisions ; â   Les questions qui dĂ©coulent de cet Ă©vĂ©nement. Les rĂ©ponses sont influencĂ©es par lâĂ©tat Ă©motionnel, mais la formulation de la question elle-mĂȘme en dĂ©pend. Celles-ci sont Ă lâorigine dâĂ©valuations plus ou moins positives que lâon a de soi ; â   Les valeurs influencent la maniĂšre de percevoir lâĂ©vĂ©nement et la façon dây rĂ©pondre. Les deux principales valeurs communes Ă tous les ĂȘtres humains sont, dâun cĂŽtĂ©, la recherche du plaisir et, de lâautre, la souffrance ; â   Les croyances qui contrĂŽlent nos Ă©motions donnent Ă©galement du sens Ă un Ă©vĂ©nement. Câest lâensemble de nos croyances qui dĂ©terminent les Ă©lĂ©ments qui sont source de plaisir et ceux qui sont source de souffrance ; â   Enfin, leur dernier Ă©lĂ©ment, qui rĂ©git nos rĂ©ponses Ă un Ă©vĂ©nement, sont nos expĂ©riences de rĂ©fĂ©rence.
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Eleanor Martel (ANTHONY ROBBINS "RĂ©sumĂ© DĂ©taillĂ© et Complet De Trois Grandes Ćuvres": Pouvoir illimitĂ©, LâĂ©veil de votre puissance intĂ©rieure, Les onze lois de la rĂ©ussite (French Edition))
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Câest pourquoi la vibration ondulatoire, aprĂšs avoir impressionnĂ© tout lâocĂ©an psychique, revient au lieu mĂȘme oĂč elle naquit, avec une valeur et une direction nouvelles, sur lesquelles nous nâavons, nous humains, aucunes donnĂ©es certaines, ni mĂȘme conceptibles (car les influences rencontrĂ©es par lâondulation sur lâocĂ©an psychique sont au-dessus du domaine humain, et font partie dâun ensemble cosmique dont nous ignorons les Ă©lĂ©ments de vigueur)
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Matgioi (La Voie Rationnelle)
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Je n'ai jamais vu le Sheikh Ahmed, qui Ă©tait encore trĂšs peu connu Ă l'Ă©poque dĂ©jĂ lointaine oĂč j'Ă©tais en AlgĂ©rie [Ă SĂ©tif, durant l'annĂ©e scolaire 1917-1918], et d'ailleurs je n'ai pas eu l'occasion d'aller dans la province d'Oran; c'est seulement beaucoup plus tard que je suis entrĂ© en correspondance avec Mostaganem par l'entremise de Taillard. Quant au 1er voyage de Sh.[eikh] A.[ĂŻssa] [F. Schuon], voici ce qu'il en est exactement : quand il m'a annoncĂ© qu'il partait pour l'AlgĂ©rie, sa lettre m'est arrivĂ©e trop tard pour qu'une rĂ©ponse puisse encore lui parvenir avant la date de son dĂ©part, de sorte que je n'ai pas pu lui donner alors une indication quelconque; tout ce que j'ai pu faire et ce que j'ai fait Ă©tait d'invoquer pour lui la barakah de Sidi Abul-Hassan [ash-ShĂądhilĂź], en demandant qu'il soit conduit auprĂšs du Sheikh Ahmed, et c'est ce qui est arrivĂ© en effet, Ă la suite d'un ensemble de circonstances assez singuliĂšres comme vous le savez; je dois dire que lui-mĂȘme n'a jamais rien su de cela, car j'ai trouvĂ© inutile de lui en parler. Pour ce qui est de la suite, c'est lui qui me l'a racontĂ© la 1re fois qu'il est venu ici: Ă son arrivĂ©e, il n'a pas pu voir le Sheikh Ahmed qui Ă©tait souffrant, et ceux qui l'ont reçu lui ont dĂ©clarĂ© que, ne le connaissant pas, ils ne pouvaient pas l'admettre Ă sĂ©journer Ă la zawĂźyah; au cours de la conversation, il lui est arrivĂ© de prononcer mon nom, je ne sais Ă quel propos, et l'attitude Ă son Ă©gard a changĂ© aussitĂŽt : on lui a dit alors qu'on venait justement de recevoir une lettre de moi le jour mĂȘme, et, bien que naturellement il n'y ait eu dans cette lettre rien le concernant, cette coĂŻncidence a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme un signe favorable, de sorte qu'on l'a autorisĂ© Ă rester. Quelques jours plus tard, il m'a Ă©crit pour me faire savoir oĂč il Ă©tait, mais il ne savait pas encore de quoi il s'agissait en rĂ©alitĂ© ni ce que c'Ă©tait que la tarĂźqah; c'est en lui rĂ©pondant que je lui ai donnĂ© des explications qui l'ont dĂ©terminĂ© Ă demander son rattachement; il ne s'agit donc pas d'une lettre qui lui aurait Ă©tĂ© renvoyĂ©e de France comme vous l'avez entendu dire, puisque je n'avais pas pu lui Ă©crire avant son dĂ©part. Vous voyez par tout cela que je pourrais bien dire, sans exagĂ©ration, que sans moi il n'y aurait jamais eu de Sh. A. ! - Je vous disais la derniĂšre fois qu'il n'y avait aucune diffĂ©rence entre son cas et celui des autres moqaddem qui ont cessĂ© d'entretenir des relations avec Mostaganem; il y en a cependant une qui, en un certain sens, serait Ă son dĂ©savantage : c'est que les autres avaient Ă©tĂ© nommĂ©s par le Sheikh Ahmed, tandis que lui ne l'a Ă©tĂ© qu'aprĂšs sa mort et par le Sheikh Adda.
16 septembre 1950
[Cahiers de l'Unité n°13, Stanislas Ibranoff, René Guénon et la tradition hindoue par Renaud Fabbri]
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René Guénon
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Quelle maladie contagieuse avait bien pu attraper Speciosa ? Jâai insistĂ©. Je lui rĂ©pĂ©tais : « Speciosa est monâ amie. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas la voir ? » Elle Ă fini par cĂ©der en disant que, de toute façon, bientĂŽt, il mâarriverait ce qui est arrivĂ© Ă Speciosa. Je suis entrĂ©e dans la maison. Speciosa Ă©tait sur son lit. On avait ajoutĂ© une couche de paille fraĂźche. Quand Speciosa mâa vue, elle sâest mise Ă pleurer. Elle sâest soulevĂ©e. Jâai vu les herbes tout imprĂ©gnĂ©es de sang. « Tu vois, dit-elle, câest mon sang. Câest comme ça que lâon devient femme. Tous les mois, je serai enfermĂ©e. Maman mâa dit que câest comme ça pour les femmes. Elle prend la paille que jâai souillĂ©e. Elle la brĂ»le, en cachette, dans la huit. Elle enterre profondĂ©ment les cendres. Elle a peur quâon sorcier vienne la voler pour ses malĂ©fices et que nos champs se dessĂšchent et que moi et mes sĆurs soyons stĂ©riles Ă cause de ce premier sang qui pourrait mettre toute la famille en pĂ©ril. On ne pourra plus sâamuser comme avant. Ă prĂ©sent, je suis une femme, avec un pagne de femme, je me sens vraiment malheureuse. » Nous nâavons plus jamais jouĂ© ensemble.
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Scholastique Mukasonga (Our Lady of the Nile)
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Qui pouvait comprendre cela ? Personne.
C'Ă©tait un combat intime. Le plus invisible de tous. Le plus lancinant aussi.
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Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout. 2 Mp3-CDs (French Edition))
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..(l'architecte) il compose la musique que d'autres vont jouer. De plus, afin de vraiment comprendre ce qu'est l'architecture, il faut se rappeler que les gens qui l'interprÚtent ne sont pas des musiciens sensibles qui jouent la partition de quelqu'un d'autre, lui donnant un phrasé particulier, accentuant l'un ou l'autre trait de l'oeuvre. Au contraire, c'est une multitude de gens ordinaires qui, comme des fourmis travaillant ensemble à la construction de la fourmiliÚre, contribuent de maniÚre tout à fait impersonnelle à l'ensemble, souvent sans comprendre ce qu'ils aident à créer. DerriÚre eux il y a l'architecte qui organise le travail, et l'on pourrait vraiment dire que l'architecture est un art d'organisation. Le bùtiment est produit comme un film sans vedettes, une sorte de documentaire avec des gens ordinaires qui jouent tous les rÎles.
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Steen Eiler Rasmussen
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DĂ©jĂ le Grand Khan cherchait dans son atlas les plans des villes que menacent incubes et malĂ©dictions : Enoch, Babylone, Yahoo, Butua, Brave New World. Il dit : â Tout est inutile, si lâultime accostage ne peut ĂȘtre que la ville infernale, si câest lĂ dans ce fond que, sur une spirale toujours plus resserrĂ©e, va finir le courant. Et Polo : â Lâenfer des vivants nâest pas chose Ă venir ; sâil y en a un, câest celui qui est dĂ©jĂ lĂ , lâenfer que nous habitons tous les jours, que nous formons dâĂȘtre ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La premiĂšre rĂ©ussit aisĂ©ment Ă la plupart : accepter lâenfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquĂ©e et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaĂźtre qui et quoi, au milieu de lâenfer, nâest pas lâenfer, et le faire durer, et lui faire de la place.
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Italo Calvino (Les villes invisibles)