Ensemble C'est Tout Quotes

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Tout est kitsch, si l'on veut. La musique dans son ensemble est kitsch; l'art est kitsch; la littérature elle-même est kitsch. Toute émotion est kitsch, pratiquement par définition; mais toute réflexion aussi, et même dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c'est le néant.
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
Dit comme ça, c'était un peu cucul évidemment, mais bon, c'était la vérité et il y avait bien longtemps que le ridicule ne les tuait plus: pour la première fois et tous autant qu'ils étaient, ils eurent l'impression d'avoir une vraie famille. Mieux qu'une vraie d'ailleurs, une voulue, une pour laquelle ils s'étaient battus et qui ne leur demandait rien d'autre en échange que d'être heureux ensemble. Même pas heureux d'ailleurs, ils n'étaient plus si exigeants. D'être ensemble, c'est tout. Et déjà c'était inesperé.
Anna Gavalda (Hunting and Gathering)
Tout le problème de l'amour, me semble-t-il, est là: pour être heureux on a besoin de sécurité alors que pour être amoureux on a besoin d'insécurité. Le bonheur repose sur la confiance alors que l'amour exige du doute et de l'inquiétude. Bref, en gros, le mariage a été conçu pour rendre heureux, mais pas pour rester amoureux. Et tomber amoureux n'est pas la meilleure manière de trouver le bonheur; si tel était le cas, depuis le temps, cela se saurait. Je ne sais pas si je suis très clair, mais je me comprends: ce que je veux dire, c'est que le mariage mélange des trucs qui ne vont pas bien ensemble.
Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans - Le roman suivi du scénario du film)
Oh! je voudrais tant que tu te souviennes Des jours heureux où nous étions amis En ce temps-là la vie était plus belle Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Tu vois, je n'ai pas oublié Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Les souvenirs et les regrets aussi. Et le vent du Nord les emporte, Dans la nuit froide de l'oubli. Tu vois je n'ai pas oublié, La chanson que tu me chantais... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Les souvenirs et les regrets aussi, Mais mon amour silencieux et fidèle Sourit toujours et remercie la vie. Je t'aimais tant, tu étais si jolie, Comment veux-tu que je t'oublie? En ce temps-là la vie était plus belle Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Tu étais ma plus douce amie Mais je n'ai que faire des regrets. Et la chanson que tu chantais, Toujours, toujours je l'entendrai. C'est une chanson qui nous ressemble, Toi tu m'aimais, moi je t'aimais Et nous vivions, tous deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis. C'est une chanson qui nous ressemble, Toi tu m'aimais et je t'aimais Et nous vivions tous deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis.
Jacques Prévert
« Toute communauté, qu'elle soit familiale ou autre, nous est haissable, dégradante. Nous sommes ensemble dans une honte de principe d'avoir à vivre la vie. C'est là que nous sommes au plus profond de notre histoire commune, celle d'être tous les trois des enfants de cette personne de bonne foi, notre mère, que la société a assassinée. Nous sommes du côté de cette société qui a réduit ma mère au désespoir. À cause de ce qu'on a fait à notre mère si aimable, si confiante, nous haïssons la vie, nous nous haïssons.
Marguerite Duras (The Lover)
Les gens riches à Paris demeurent ensemble, leurs quartiers, en bloc, forment une tranche de gâteau urbain dont la pointe vient toucher au Louvre, cependant que le rebord rebondi s'arrête aux arbres entre le Pont d'Auteuil et la Porte des Ternes. Voilà. C'est le bon morceau. Tout le reste n'est que peine et fumier.
Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences . [Ensemble, c’est tout]
Anna Gavalda
C’est tout ensemble un étourdissement et un éblouissement. Il y a comme un bruit de cloche qui ébranle les cavités de mon cerveau...
Victor Hugo (Le Dernier Jour D'un Condamné ; Claude Gueux)
« Il faut dire qu’un séjour continuel dans un État bien organisé a quelque chose d’absolument fantômal ; on ne peut sortir dans la rue, boire un verre d’eau ou monter dans le tram sans toucher aux leviers subtilement équilibrés d’un gigantesque appareil de lois et de relations, les mettre en branle ou se faire maintenir par eux dans la tranquillité de son existence ; on n’en connaît qu’un très petit nombre, ceux qui pénètrent profondément dans l’intérieur et se perdent à l’autre bout dans un réseau dont aucun homme, jamais, n’a débrouillé l’ensemble ; c’est d’ailleurs pourquoi on le nie, comme le citadin nie l’air, affirmant qu’il n’est que du vide ; mais il semble que ce soit justement parce que tout ce que l’on nie, tout ce qui est incolore, inodore, insipide, sans poids et sans moeurs, comme l’eau, l’air, l’espace, l’argent et la fuite du temps, est en réalité l’essentiel que la vie prend ce caractère spectral. »
Robert Musil (The Man Without Qualities)
Ma perfection n'est pas dans l'idée du romantisme de cette fête, ni dans le fait d'être en couple et encore moins dans les activités à deux. Non, ma perfection, c'est lui. Peu importe où, comment, dans quel contexte et tout le reste : si nous sommes ensemble, je l'ai, ma romance de Noël parfaite.
Fleur Hana (Ma Romance de Noël (presque) parfaite)
Cela pose un problème que...?" "Que tu ne sois pas juif? Pas le moins du tout, dit maman en riant. Ni mon mari ni moi n'accordons d'importance à la différence de l'autre. Bien au contraire, nous avons toujours pensé que'elle était passionnante et source de multiples bonheurs. Le plus important, quand on veut vivre à deux toute une vie, est d'etre sur que l'on ne s'ennuiera pas ensemble. L'ennui dans un couple, c'est lui qui tue l'amour. Tant que tu feras rire Alice, tant que tu lui donneras l'envie de te retrouver, alors que tu viens à peine de la quitter pour aller travailler, tant que tu seras celui dont elle partage les confidences et à qui elle aime aussi se confier, tant que tu vivras tes reves avec elle, meme ceux que tu ne pourras pas réaliser, alors je suis certaine que quelles que soient tes origines, la seule chose qui sera étrangère à votre couple sera le monde et ses jaloux.
Marc Levy (Les Enfants de la liberté)
La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines. En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre. Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours. (p. 35-36)
Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
Ma liberté Longtemps je t'ai gardée Comme une perle rare Ma liberté c'est toi qui m'as aidé A larguer les amarres Pour aller n'importe où Pour aller jusqu'au bout Des chemins de fortune Pour cueillir en rêvant Une rose des vents Sur un rayon de lune Ma liberté Devant tes volontés Mon âme était soumise Ma liberté je t'avais tout donné Ma dernière chemise Et combien j'ai souffert Pour pouvoir satisfaire Tes moindres exigences J'ai changé de pays J'ai perdu mes amis Pour gagner ta confiance Ma liberté Tu as su désarmer Toutes mes habitudes Ma liberté toi qui m'as fait aimer Même la solitude Toi qui m'as fait sourire Quand je voyais finir Une belle aventure Toi qui m'as protégé Quand j'allais me cacher Pour soigner mes blessures Ma liberté Pourtant je t'ai quittée Une nuit de décembre J'ai déserté les chemins écartés Que nous suivions ensemble Lorsque sans me méfier Les pieds et poings liés Je me suis laissé faire Et je t'ai trahie pour Une prison d'amour Et sa belle geôlière Et je t'ai trahie pour Une prison d'amour Et sa belle geôlière
Georges Moustaki
Une très jolie jeune fille, traitée avec des égards constants et des attentions démesurées par l'ensemble de la population masculine, y compris par ceux - l'immense majorité - qui n'ont plus aucun espoir d'en obtenir une faveur d'ordre sexuel, et même à vrai dire tout particulièrement par eux, avec une émulation abjecte confinant chez certains quinquagénaires au gâtisme pur et simple, une très jolie jeune fille devant qui tous les visages s'ouvrent, toutes les difficultés s'aplanissent, accueillie partout comme si elle était la reine du monde, devient naturellement une espèce de monstre d'égoïsme et de vanité autosatisfaite. La beauté physique joue ici exactement Ie même rôle que la noblesse de sang sous l'Ancien Régime, et la brève conscience qu'elles pourraient prendre à l'adolescence de l'origine purement accidentelle de leur rang cède rapidement la place chez la plupart des très jolies jeunes filles à une sensation de supériorité innée, naturelle, instinctive, qui les place entièrement en dehors, et largement au-dessus du reste de l'humanité. Chacun autour d'elle n'ayant pour objectif que de lui éviter toute peine, et de prévenir Ie moindre de ses désirs, c'est tout uniment (sic) qu'une très jolie jeune fille en vient à considérer Ie reste du monde comme composé d'autant de serviteurs, elle-même n'ayant pour seule tâche que d'entretenir sa propre valeur érotique - dans l'attente de rencontrer un garçon digne d'en recevoir l'hommage. La seule chose qui puisse la sauver sur le plan moral, c'est d'avoir la responsabilité concrète d'un être plus faible, d'être directement et personnellement responsable de la satisfaction de ses besoins physiques, de sa santé, de sa survie - cet être pouvant être un frère ou une soeur plus jeune, un animal domestique, peu importe. (La possibilité d'une île, Daniel 1,15)
Michel Houellebecq
Ecoute : l'intellectuel essaie de connaître et de représenter au moyen de la logique l'essence du monde. Il sait que notre intelligence et son instrument, la logique, sont des outils imparfaits - tout comme un artiste sensé n'ignore pas que son pinceau ou son ciseau ne pourront jamais exprimer parfaitement la splendeur d'un ange ou d'un saint. Pourtant tous deux essaient, le penseur comme l'artiste, chacun à sa manière. Ils ne peuvent pas faire autrement, ils n'en ont pas le droit. Car un être humain s'acquitte de sa tâche la plus haute, la plus normale, en cherchant à mettre en valeur les dons qu'il a reçus de la nature. [...] Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n'y a pas pour nous de perfection, pas d'être absolu. Mais là où nous passons de la puissance à l'acte, de la possibilité à la réalisation, nous avons part à l'être véritable, nous nous rapprochons d'un pas du divin et de la perfection. Se réaliser, c'est cela. (p. 309-310)
Hermann Hesse (Narcissus and Goldmund)
Patrice a vingt-quatre ans et, la première fois que je l’ai vu, il était dans son fauteuil incliné très en arrière. Il a eu un accident vasculaire cérébral. Physiquement, il est incapable du moindre mouvement, des pieds jusqu’à la racine des cheveux. Comme on le dit souvent d’une manière très laide, il a l’aspect d’un légume : bouche de travers, regard fixe. Tu peux lui parler, le toucher, il reste immobile, sans réaction, comme s’il était complètement coupé du monde. On appelle ça le locked in syndrome.Quand tu le vois comme ça, tu ne peux qu’imaginer que l’ensemble de son cerveau est dans le même état. Pourtant il entend, voit et comprend parfaitement tout ce qui se passe autour de lui. On le sait, car il est capable de communiquer à l’aide du seul muscle qui fonctionne encore chez lui : le muscle de la paupière. Il peut cligner de l’œil. Pour l’aider à s’exprimer, son interlocuteur lui propose oralement des lettres de l’alphabet et, quand la bonne lettre est prononcée, Patrice cligne de l’œil.  Lorsque j’étais en réanimation, que j’étais complètement paralysé et que j’avais des tuyaux plein la bouche, je procédais de la même manière avec mes proches pour pouvoir communiquer. Nous n’étions pas très au point et il nous fallait parfois un bon quart d’heure pour dicter trois pauvres mots. Au fil des mois, Patrice et son entourage ont perfectionné la technique. Une fois, il m’est arrivé d’assister à une discussion entre Patrice et sa mère. C’est très impressionnant.La mère demande d’abord : « Consonne ? » Patrice acquiesce d’un clignement de paupière. Elle lui propose différentes consonnes, pas forcément dans l’ordre alphabétique, mais dans l’ordre des consonnes les plus utilisées. Dès qu’elle cite la lettre que veut Patrice, il cligne de l’œil. La mère poursuit avec une voyelle et ainsi de suite. Souvent, au bout de deux ou trois lettres trouvées, elle anticipe le mot pour gagner du temps. Elle se trompe rarement. Cinq ou six mots sont ainsi trouvés chaque minute.  C’est avec cette technique que Patrice a écrit un texte, une sorte de longue lettre à tous ceux qui sont amenés à le croiser. J’ai eu la chance de lire ce texte où il raconte ce qui lui est arrivé et comment il se sent. À cette lecture, j’ai pris une énorme gifle. C’est un texte brillant, écrit dans un français subtil, léger malgré la tragédie du sujet, rempli d’humour et d’autodérision par rapport à l’état de son auteur. Il explique qu’il y a de la vie autour de lui, mais qu’il y en a aussi en lui. C’est juste la jonction entre les deux mondes qui est un peu compliquée.Jamais je n’aurais imaginé que ce texte si puissant ait été écrit par ce garçon immobile, au regard entièrement vide.  Avec l’expérience acquise ces derniers mois, je pensais être capable de diagnostiquer l’état des uns et des autres seulement en les croisant ; j’ai reçu une belle leçon grâce à Patrice.Une leçon de courage d’abord, étant donné la vitalité des propos que j’ai lus dans sa lettre, et, aussi, une leçon sur mes a priori. Plus jamais dorénavant je ne jugerai une personne handicapée à la vue seule de son physique. C’est jamais inintéressant de prendre une bonne claque sur ses propres idées reçues .
Grand corps malade (Patients)
Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'était hier que je t'ai dit Nous dormirons ensemble C'était hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon cœur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermé sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras Nous dormirons ensemble.
Louis Aragon (Le fou d'Elsa)
Une cellule du foi cancereuse produit en permanence des morceaux de foie sans tenir compte des autres cellules qui lui disent que ce n'est plus nécessaire. La cellule cancéreuse a pour ambition de retrouver cette ancienne immortalité, et c'est pour cela qu'elle tue l'ensemble de l'organisme, un peu comme ces gens qui parlent tout seuls en permanence sans rien écouter autour d'eux. La cellule cancéreuse est une cellule autiste et c'est pour cela qu'elle est dangereuse. Elle se reproduit sans cesse sans tenir compte des autres, et, dans sa quête folle d'immortalité, elle finit par tout tuer autour d'elle.
Bernard Werber (La Trilogie des Fourmis)
Cette trop grande confiance dans les théories, qui cause tout le mal, vient souvent d'une mauvaise éducation scientifique, dont le savant doit ensuite se corriger. Mieux vaudrait souvent qu'il fût ignorant. Il n'a plus l'esprit libre ; il est enchaîné par des théories qu'il regarde comme vraies absolument. Un des plus grands écueils que rencontre l'expérimentateur, c'est donc d'accorder trop de confiance aux théories. Ce sont les gens que J'appellerai des systématiques. L'enseignement contribue beaucoup à produire ce résultat. Il arrive généralement que dans les livres et dans les cours on rend la science plus claire qu'elle n'est en réalité. C'est même là le mérite d'un enseignement de faculté de présenter la science avec un ensemble systématique dans lequel on dissimule les lacunes pour ne pas rebuter les commençants dans la science. Or, les élèves prennent le goût des systèmes qui sont plus clairs et plus simples pour l'esprit, parce qu'on a simplifié sa science et élagué tout ce qui était obscur, et ils emportent de là l'idée fausse que les théories de la science sont définitives et qu'elles représentent des principes absolus dont tous les faits se déduisent. C'est en effet ainsi qu'on les présente systématiquement.
Claude Bernard (Principes de Médecine expérimentale (French Edition))
Maintenant, depuis quand l’horreur exclut-elle l’étude ? depuis quand la maladie chasse-t-elle le médecin ? Se figure-t-on un naturaliste qui refuserait d’étudier la vipère, la chauve-souris, le scorpion, la scolopendre, la tarentule, et qui les rejetterait dans leurs ténèbres en disant : Oh ! que c’est laid ! Le penseur qui se détournerait de l’argot ressemblerait à un chirurgien qui se détournerait d’un ulcère ou d’une verrue. Ce serait un philologue hésitant à examiner un fait de la langue, un philosophe hésitant à scruter un fait de l’humanité. Car, il faut bien le dire à ceux qui l’ignorent, l’argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social. Qu’est-ce que l’argot proprement dit ? L’argot est la langue de la misère.
Victor Hugo (Les Misérables)
Dans l’ordre économique ordinaire, l’individu produit comme élément de production, il consomme comme élément de consommation, mais il se noie dans la statistique, il se noie dans les lois du grand nombre. Les résultats économiques sont les résultats qui font disparaître l’individu devant les chiffres, devant les nombres qui sont fournis. C’est ce qu’on appelle la statistique. L’individu s’efface, il ne reste que l’ensemble des phénomènes qu’on peut rédiger sous forme de lois. Dans l’ordre intellectuel, il n’en est pas tout à fait ainsi. C’est précisément à quoi je faisais allusion quand je parlais tout à l’heure des créateurs, ces gens particuliers qui jouent un rôle essentiel, et en somme un rôle tout à fait personnel, individuel. C’est la valeur personnelle qui est en cause.
Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
S'il m'arrive de perdre une nuit qui aurait pu être consacrée au sommeil, au plaisir, ou tout simplement à la solitude, à causer sur la terrasse d'un café avec des intellectuels atteints de désespoir, je les étonne toujours en leur affirmant que j'ai connu le bonheur, le vrai, l'authentique, la pièce d'or inaltérable qu'on peut échanger contre une poignée de gros sous ou contre une liasse de marks d'après-guerre, mais qui n'en demeure pas moins semblable à elle-même, et qu'aucune dévaluation n'atteint. Le souvenir d'un d'un tel état de choses guérit de la philosophie allemande ; il aide à simplifier la vie, et aussi son contraire. Et si ce bonheur émanait de Conrad, ou seulement de ma jeunesse, c'est ce qui importe peu, puisque ma jeunesse et Conrad sont morts ensemble. (p. 145)
Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grâce)
J’avais envie de partager un rêve avec vous. J’aime à croire qu’un jour, nous saurons marcher les uns avec les autres. Je me suis dit que si chacun donnait la main à quelqu’un d’autre, alors ensemble, nous pourrions faire de ce monde un lieu meilleur où il fait bon vivre dans une douce harmonie. J’ai besoin de vous pour que ce rêve devienne notre réalité. Si vous croyez comme moi que le bonheur est un choix, alors il est de notre responsabilité d’aider ceux qu’on aime à se réaliser! Prenez quelqu’un par la main et enseignez-lui l’Amour, devenez son «Shanti», aidez-le à trouver son chemin et proposez-lui de tenir la main d’une autre personne en ne lâchant plus jamais la sienne. Très vite, nos mains se relieront autour de la Terre pour faire de cette planète l’œuvre que nous aurons réalisée. N’essayez pas de convaincre les autres, montrez-leur l’exemple, inspirez-les, c’est en rayonnant que votre lumière guidera leurs pas… Avec tout mon amour. Maud
Maud Ankaoua (Kilomètre zéro)
On ne peut pas dire que le petit bourgeois n'a rien lu. Il a tout lu, tout dévoré au contraire. Seulement son cerveau fonctionne à la manière de certains appareils digestifs de type élémentaire. Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise. Les Vietnamiens, avant l'arrivée des Français dans leur pays, étaient gens de culture vieille, exquise et raffinée. Ce rappel indispose la Banque d'Indochine. Faites fonctionner l'oublioir ! Ces Malgaches, que l'on torture aujourd'hui, étaient, il y a moins d'un siècle, des poètes, des artistes, des administrateurs ? Chut ! Bouche cousue ! Et le silence se fait profond comme un coffre-fort ! Heureusement qu'il reste les nègres. Ah ! les nègres ! parlons-en des nègres ! Eh bien, oui, parlons-en. Des empires soudanais ? Des bronzes du Bénin ? De la sculpture Shongo ? Je veux bien ; ça nous changera de tant de sensationnels navets qui adornent tant de capitales européennes. De la musique africaine. Pourquoi pas? Et de ce qu'ont dit, de ce qu'ont vu les premiers explorateurs... Pas de ceux qui mangent aux râteliers des Compagnies ! Mais des d'Elbée, des Marchais, des Pigafetta ! Et puis de Frobénius ! Hein, vous savez qui c'est, Frobénius ? Et nous lisons ensemble : « Civilisés jusqu'à la moelle des os ! L'idée du nègre barbare est une invention européenne. » Le petit bourgeois ne veut plus rien entendre. D'un battement d'oreilles, il chasse l'idée. L'idée, la mouche importune.
Aimé Césaire (Discourse on Colonialism)
En finir avec le système capitaliste ne saurait en aucun cas se réduire à un changement dans le régime de propriété des moyens de production, à la planification de l'économie ou à une répartition plus juste des bénéfices de celle-ci. Cela ne peut signifier autre chose que l'abolition de la valeur et de son écrasante prédominance tant dans l'ordre économique que dans l'ensemble de la vie sociale et subjective. Prendre pleinement la mesure de ce qu'implique l'abolition de la valeur (c'est-à-dire aussi de la prééminence du travail abstrait) n'a rien d'aisé. Mais du moins est-il clair que cela - et cela seul - équivaut à la destruction du moteur même de la folle mécanique du productivisme capitaliste, à savoir la force incontrôlable qui oblige à produire sans cesse davantage sous l'effete de la seule nécessité de l'expansion de la valeur. Une fois éliminée cette compulsion mortifère de la production-pour-la-production-et-pour-le-profit, les producteurs (qu'il conviendrait de ne plus qualifier par ce terme) retrouveront la pleine maîtrise de la création de valeurs d'usage, réalisée sur la base e choix arrêtés et assumés collectivement (tandis que l'autoproduction inscrite dans le temps disponible relèvera de l'entière liberté de chacun). Plus profondément, cela signifie que la production de biens et de services (qu'il serait souhaitable de nommer autrement), tout en demeurant la base nécessaire à la vie, cessera d'être la sphère centrale et déterminante de l'organisation collective, comme elle l'est, de manière très spécifique, dans la justement nommée société de la marchandise. (p. 115)
Jérôme Baschet (Adiós al Capitalismo: Autonomía, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
TOUZENBACH Si vous voulez. De quoi parlerons-nous ? VERCHININE De quoi ? Rêvons ensemble... par exemple de la vie telle qu’elle sera après nous, dans deux ou trois cents ans. TOUZENBACH Eh bien, après nous on s’envolera en ballon, on changera la coupe des vestons, on découvrira peut-être un sixième sens, qu’on développera, mais la vie restera la même, un vie difficile, pleine de mystère, et heureuse. Et dans mille ans, l’homme soupirera comme aujourd’hui : « Ah ! qu’il est difficile de vivre ! » Et il aura toujours peur de la mort et ne voudra pas mourir. VERCHININE, après avoir réfléchi. Comment vous expliquer ? Il me semble que tout va se transformer peu à peu, que le changement s’accomplit déjà, sous nos yeux. Dans deux ou trois cents ans, dans mille ans peut-être, peu importe le délai, s’établira une vie nouvelle, heureuse. Bien sûr, nous ne serons plus là, mais c’est pour cela que nous vivons, travaillons, souffrons enfin, c’est nous qui la créons, c’est même le seul but de notre existence, et si vous voulez, de notre bonheur. Macha rit doucement. TOUZENBACH Pourquoi riez-vous ? MACHA Je ne sais pas. Je ris depuis ce matin. VERCHININE J’ai fait les mêmes études que vous, je n’ai pas été à l’Académie militaire. Je lis beaucoup, mais je ne sais pas choisir mes lectures, peut-être devrais-je lire tout autre chose ; et cependant, plus je vis, plus j’ai envie de savoir. Mes cheveux blanchissent, bientôt je serai vieux, et je ne sais que peu, oh ! très peu de chose. Pourtant, il me semble que je sais l’essentiel, et que je le sais avec certitude. Comme je voudrais vous prouver qu’il n’y a pas, qu’il ne doit pas y avoir de bonheur pour nous, que nous ne le connaîtrons jamais... Pour nous, il n’y a que le travail, rien que le travail, le bonheur, il sera pour nos lointains descendants. (Un temps.) Le bonheur n’est pas pour moi, mais pour les enfants de mes enfants. TOUZENBACH Alors, d’après vous, il ne faut même pas rêver au bonheur ? Mais si je suis heureux ? VERCHININE Non. TOUZENBACH, joignant les mains et riant. Visiblement, nous ne nous comprenons pas. Comment vous convaincre ? (Macha rit doucement. Il lui montre son index.) Eh bien, riez ! (À Verchinine :) Non seulement dans deux ou trois cents ans, mais dans un million d’années, la vie sera encore la même ; elle ne change pas, elle est immuable, conforme à ses propres lois, qui ne nous concernent pas, ou dont nous ne saurons jamais rien. Les oiseaux migrateurs, les cigognes, par exemple, doivent voler, et quelles que soient les pensées, sublimes ou insignifiantes, qui leur passent par la tête, elles volent sans relâche, sans savoir pourquoi, ni où elles vont. Elles volent et voleront, quels que soient les philosophes qu’il pourrait y avoir parmi elles ; elles peuvent toujours philosopher, si ça les amuse, pourvu qu’elles volent... MACHA Tout de même, quel est le sens de tout cela ? TOUZENBACH Le sens... Voilà, il neige. Où est le sens ? MACHA Il me semble que l’homme doit avoir une foi, du moins en chercher une, sinon sa vie est complètement vide... Vivre et ignorer pourquoi les cigognes volent, pourquoi les enfants naissent, pourquoi il y a des étoiles au ciel... Il faut savoir pourquoi l’on vit, ou alors tout n’est que balivernes et foutaises. Comme dit Gogol : « Il est ennuyeux de vivre en ce monde, messieurs. »
Anton Chekhov (The Three Sisters)
Si l’humanité s’est écartée des conditions initiales dont je parlais, si elle a renoncé, sans le savoir et sans le vouloir, à la stabilité à laquelle elle pouvait tendre, on pouvait supposer qu’étant arrivée à un certain niveau, elle s’y serait stabilisée, comme les abeilles ont pu se stabiliser (elles ont trouvé certains procédés de construction, d’accumulation des réserves), et demeurer en cet état indéfiniment, comme il semble que les abeilles y soient demeurées, nous aurions pu arriver à concevoir une humanité comme une fourmilière ou une ruche d’abeilles. Pas du tout. Elle n’a cessé de s’écarter de son bien-être, le bien-être n’a pas suffi à l’humanité. Hélas ! dans bien des cas on pourrait se lamenter à ce sujet et pleurer, mais il s’est trouvé toujours que les hommes se soient écartés de la norme déjà établie, que des hommes, des penseurs par exemple aient spéculé assez pour trouver que la stabilité acquise était une stabilité insuffisante, très insuffisante. C’est pourquoi j’ai pu prononcer dans ma dernière leçon ce mot de l’aventure qui m’a paru résumer la vie humaine dans son ensemble. L’aventure... c’est-à-dire ce fait qu’il y a eu un changement qui a toujours etendu à repousser, à nier, à ruiner les conditions d’existence, même favorables, même satisfaisantes pour la majorité des individus, et qui a tendu à détruire cet ordre-là, à le renverser. J’avais associé à ce mot-là le mot le plus connu de progrès, mais je préfère celui d’aventure, et je vais vous dire pourquoi le terme de progrès, que j’ai essayé de préciser en le ramenant à ce qui est observable, progrès que j’ai défini par l’accroissement de précision dans les mesures marquées par les décimales qu’on peut calculer et observer : progrès dans l’acquisition des moyens d’action, progrès de puissance mécanique, nombre de chevaux-vapeur par tête à telle époque, progrès dans les automatismes sociaux, par conséquent progrès qui permet de commander beaucoup plus d’éléments humains ou matériels à l’aide d’un plus petit effort, diminution de l’effort à accomplir. Tout ceci est parfaitement observable, ce ne sont pas des chimères. On a ajouté à cela une véritable religion du progrès, qui fait croire que, quoi qu’il en soit après bien des aventures, beaucoup d’expériences, l’humanité marche toujours vers une amélioration de son sort.
Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
Il faut que je vous écrive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, où je me suis réfugié contre le mauvais temps. Dans ce triste gîte de D., où je me traîne au milieu d’une foule étrangère, tout à fait étrangère à mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, où le cœur in’ait dit de vous écrire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grêle se déchaînent contre ma petite fenêtre, ici, vous avez été ma première pensée. Dès que je fus entré, votre image, ô Charlotte, votre pensée m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve. Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon âme se dessèche ! Pas un moment où le cœur soit plein ! pas une heure fortunée ! rien, rien ! Je suis là comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutôt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lève, pourquoi je me coucha. Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait éveillé dans les nuits profondes s’est évanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi. Je n’ai trouvé ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ô Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilà qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout à fait imaginaire : depuis quelque temps je suis très-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement…. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?… » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’âme, on le voit d’abord à la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est à charge ; il ne satisfait aucun des vœux de son cœur. Elle aspire à sortir de ce tumulte, et nous rêvons, des heures entières, au mijieu de scènes champêtres, un bonheur sans mélange ; hélas ! nous rêvons à vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligée de vous rendre hommage !… Non pas obligée : elle le fait de bon gré ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime. Oh ! si j’étais assis à vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante ! Le soleil se couche avec magnificence sur la contrée éblouissante de neige ; l’orage est passé ; et moi…. il faut que je rentre dans ma cage…. Adieu. Albert est-il auprès de vous ? Et comment ?… Dieu veuille me pardonner cette question !
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
Wilhelm, on deviendrait furieux de voir qu’il y ait des hommes incapables de goûter et de sentir le peu de biens qui ont encore quelque valeur sur la terre. Tu connais les noyers sous lesquels je me .suis assis avec Charlotte, à St…, chez le bon pasteur, ces magnifiques noyers, qui, Dieu le sait, me remplissaient toujours d’une joie calme et profonde. Quelle paix, quelle fraîcheur ils répandaient sur le presbytère ! Que les rameaux étaient majestueux ! Et le souvenir enfin des vénérables pasteurs qui les avaient plantés, tant d’années auparavant !… Le maître d’école nous a dit souvent le nom de l’un d’eux, qu’il avait appris de son grand-père. Ce fut sans doute un homme vertueux, et, sous ces arbres, sa mémoire me fut toujours sacrée. Eh bien, le maître d’école avait hier les larmes aux yeux, comme nous parlions ensemble de ce qu’on les avait abattus. Abattus ! j’en suis furieux, je pourrais tuer le chien qui a porté le premier coup de hache. Moi, qui serais capable de prendre le deuil, si, d’une couple d’arbres tels que ceux-là, qui auraient existé dans ma cour, l’un venait à mourir de vieillesse, il faut que je voie une chose pareille !… Cher Wilhelm, il y a cependant une compensation. Chose admirable que l’humanité ! Tout le village murmure, et j’espère que la femme du pasteur s’apercevra au beurre, aux œufs et autres marques d’amitié, de la blessure qu’elle a faite à sa paroisse. Car c’est elle, la femme du nouveau pasteur (notre vieux est mort), une personne sèche, maladive, qui fait bien de ne prendre au monde aucun intérêt, attendu que personne n’en prend à elle. Une folle, qui se pique d’être savante ; qui se mêle de l’étude du canon ; qui travaille énormément à la nouvelle réformation morale et critique du christianisme ; à qui les rêveries de Lavater font lever les épaules ; dont la santé est tout à fait délabrée, et qui ne goûte, par conséquent, aucune joie sur la terre de Dieu ! Une pareille créature était seule capable de faire abattre mes noyers. Vois-tu, je n’en reviens pas. Figure-toi que les feuilles tombées lui rendent la cour humide et malpropre ; les arbres interceptent le jour à madame, et, quand les noix sont mûres, les enfants y jettent des pierres, et cela lui donne sur les nerfs, la trouble dans ses profondes méditations, lorsqu’elle pèse et met en parallèle Kennikot, Semler et Michaëlis. Quand j’ai vu les gens du village, surtout les vieux, si mécontents, je leur ai dit : « Pourquoi l’avez-vous souffert ?— A la campagne, m’ontils répondu, quand le maire veut quelque chose, que peut-on /aire ? * Mais voici une bonne aventure. : le- pasteur espérait aussi tirer quelque avantage des caprices de sa femme, qui d’ordinaire ne rendent pas sa soupe plus grasse, et il croyait partager le produit avec le maire ; la chambre des domaines en fut avertie et dit : « A moi, s’il vous plaît ! » car elle avait d’anciennes prétentions sur la partie du presbytère où les arbres étaient plantés, et elle les a vendus aux enchères. Ils sont à bas ! Oh ! si j’étais prince, la femme du pasteur, le maire, la chambre des domaines, apprendraient…. Prince !… Eh ! si j’étais prince, que m’importeraient les arbres de mon pays ?
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la liberté. Terre vile, rends-toi à la terre; que tout mouvement s’arrête, et qu’une même bière presse de son poids et Roméo et toi. LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j’eusse! O aimable Tybalt, honnête cavalier, faut-il que j’aie vécu pour te voir mort! JULIETTE.—Quelle est donc cette tempête qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? Roméo est-il tué, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chéri et mon époux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-là sont morts? LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et Roméo est banni: Roméo, qui l’a tué, est banni. JULIETTE.—O Dieu! la main de Roméo a-t-elle versé le sang de Tybalt? LA NOURRICE.—Il l’a fait, il l’a fait! O jour de malheur! il l’a fait! JULIETTE.—O coeur de serpent caché sous un visage semblable à une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angélique démon, corbeau couvert des plumes d’une colombe, agneau transporté de la rage du loup, méprisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais à juste titre, damnable saint, traître plein d’honneur! O nature, qu’allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l’âme d’un démon? Jamais livre contenant une aussi infâme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais? LA NOURRICE.—Il n’y a plus ni sincérité, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! où est mon valet? Donnez-moi un peu d’aqua vitæ….. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit à Roméo! JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n’est pas né pour la honte: la honte rougirait de s’asseoir sur son front; c’est un trône où on peut couronner l’honneur, unique souverain de la terre entière. Oh! quelle brutalité me l’a fait maltraiter ainsi? LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tué votre cousin? JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre époux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l’ai ainsi déchiré? Mais pourquoi, traître, as-tu tué mon cousin? Ah! ce traître de cousin a voulu tuer mon époux.—Rentrez, larmes insensées, rentrez dans votre source; c’est au malheur qu’appartient ce tribut que par méprise vous offrez à la joie. Mon époux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon époux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleuré-je? Ah! c’est qu’il y a là un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m’a assassinée.—Je voudrais bien l’oublier; mais, ô ciel! il pèse sur ma mémoire comme une offense digne de la damnation sur l’âme du pécheur. Tybalt est mort, et Roméo est….. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tué pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt était un assez grand malheur, tout eût-il fini là; ou si les cruelles douleurs se plaisent à marcher ensemble, et qu’il faille nécessairement que d’autres peines les accompagnent, pourquoi, après m’avoir dit: «Tybalt est mort,» n’a-t-elle pas continué: «ton père aussi, ou ta mère, ou tous les deux?» cela eût excité en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arrière-garde qui a suivi la mort de Tybalt, Roméo est banni; par ce seul mot, père, mère, Tybalt, Roméo, Juliette, tous sont assassinés, tous morts. Roméo banni! Il n’y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu’apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
William Shakespeare (Romeo and Juliet)
Les lois sacrées (sharâ’i’) sont toutes des lumières. La loi de Muhammad – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix !- est parmi ces lumières comme le soleil (5) : les lumières des planètes sont à la fois présentes et cachées, ce qui est comparable aux abrogations opérées par sa loi – sur lui la Grâce et la Paix ! – en dépit de la présence des Lois antérieures. C’est pourquoi cette Loi universelle qui est nôtre implique nécessairement pour nous la Foi en l’ensemble des prophètes ; nous devons croire que les Lois qu’ils ont communiquées sont l’expression d’un Droit sacré véritable (haqq) (6). Leur abrogation ne signifie nullement qu’elles sont mensongères : cette dernière opinion est celle des ignorants ! » (7) (5) Il ne s’agit pas d’une simple image, mais d’un symbolisme précis lié à la fonction solaire de sayyidnâ Idrîs, ce que confirme l’indication complémentaire donnée aussitôt, selon laquelle les Lois antérieures à l’Islam sont compatibles aux « lumières des planètes ». (6) Ceci est lié selon Ibn Arabî, à la fonction de la Pierre Noire qui, au Jour du Jugement, témoignera en faveur de ceux qui l’auront « touchée avec vérité », c’est-à-dire qui auront été fidèles au Pacte primordial conclu entre Allâh et les « descendants d’Adam », quelle que soit la Loi sacrée qu’ils auront suivie. (7) Futûhât, chap.339. [Extrait du chap 339 des FUTUHAT AL-MAKKIYYA traduit par Charles-André Gilis,in "L'Esprit universel de l'Islam".]
Charles-André Gilis
Que signifie qu’il n’y pas une continuation de l’œuvre de René Guénon par consensus ? Je ne sais ce que font les Maçons guénoniens, mais je sais que le groupe soufique de Vâlsan correspond pleinement à tout ce que désirait Guénon ; quant à moi l’œuvre de Guénon en tant qu’ensemble indivisible ne me concerne pas puisque je n’en accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir réalisé un programme que je n’ai jamais eu l’intention de réaliser. » « On peut ironiser sur des « excommunications réciproques » quand il s’agit d’une secte intrinsèquement hétérodoxe, donc d’une caricature, – de mormons, de béhaïstes, d’anthroposophes – mais non quand il s’agit d’un milieu normal et honorable se référant à des vérités spirituelles ; dans ce dernier cas, même les anathèmes peuvent être honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siècles du Christianisme aussi bien qu’aux débuts de l’Islam, et jusque dans les ordres monastiques et les confréries. « Les divergences des sages sont une bénédiction » disait le Prophète. Les guénoniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter même leur divergences, lesquelles ne peuvent prêter au ridicule, ou plutôt au mépris, que dans les cas où un individu se mêle sottement ou effrontément des choses qui le dépassent ; or je revendique la plus rigoureuse honorabilité non seulement pour moi-même, mais aussi pour mon ancien adversaire Vâlsan, dont j’ai toujours respecté la position – ce fut celle de Guénon – et avec lequel j’ai eu de bons rapports jusqu’à sa mort, malgré nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilité pour des personnes, guénoniennes ou non, qui n’ont ni vertu ni bonne foi. » « Vâlsan me disait une fois qu’il y a peu d’hommes intelligents parmi les guénoniens, quelqu’en puisse être la raison ; il parlait évidemment, non d’un groupe, mais de tous les guénoniens ; et il avait une certaine expérience de leur moyenne, comme je l’ai moi-même. Une des raisons de cet état de choses est la suivante : l’ésotérisme attire, non seulement les hommes d’élite mais aussi les médiocres souffrant de sentiments d’infériorité qu’ils cherchent à compenser par quelque sublimation ; et il y a ausi des psychopathes à la recherche soit d’un espace de rêve, soit d’un abri donnant un sentiment de sécurité. On ne peut pas empêcher que de tels hommes existent, mais ce n’est pas une raison pour être dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. » « J’ajouterai que Vâlsan fut la personnification du guénonisme intégral et inflexible, qu’il fut – lui seul – le « dauphin » de Guénon ; qu’il fut un homme fort intelligent et profondément spirituel, en sorte qu’il me fut possible d’avoir avec lui les meilleurs rapports, malgré nos divergences. C’est d’ailleurs sa paix avec moi, et son désir de m’avoir comme collaborateur à la revue, qui est le principal chef d’accusation de la part des sectaires de Turin ; » [Frithjof Schuon – Lettre à Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]
Frithjof Schuon
Comment est-ce possible? Comment tout cela tient-il ensemble? Je croise des gens par dizaines, je vois des faces préoccupées, j'ai l'impression parfois de lire dans leurs pensées. Tout le monde est triste. Pas autant que moi, mais tout le monde laisse des traînées de tristesse. Parfois j'aperçois un sourire déconcentré ou plus émouvant encore un rictus qui semble se diriger vers moi, c'est peut-être faux, ce n'est peut-être toujours que de la distraction, mais ça me tue, c'est comme un laser, ça crie toujours pourquoi dans ma tête, ça le crie toujours plus fort, pourquoi, comment est-ce possible, pourquoi dois-je décider, à propos de tout, si c'est beau ou laid, si ça mérite d'exister, plus que moi, moins que moi, plus que n'importe quoi d'autre qui n'existe pas, mais qui le pourrait.
Alexie Morin (Royauté)
Le Dieu du théisme théologique est un être à côté des autres et, comme tel, une partie de l'ensemble de la réalité. On le considère certes comme étant la partie la plus importante mais néanmoins comme une partie et, à ce titre, comme soumis à la structure de la totalité. On le pense bien sûr comme étant au-delà des éléments ontologiques et des catégories qui constituent la réalité, et pourtant tout énoncé à son sujet le soumet à ces derniers. On en vient à le voir comme un soi qui a un monde, comme un je qui est relié à un tu, comme une cause qui est séparée de son effet, comme possédant un espace défini et un temps sans fin. Il est donc un être, non l'être-même. Comme tel, il est assujetti à la structure sujet-objet de la réalité ; il est un objet pour nous en tant que nous sommes des sujets. En même temps, nous sommes des objets pour lui en tant qu'il est un sujet. Il s'agit là d'un aspect décisif en ce qui concerne la nécessité où nous sommes de dépasser le théisme théologique, car un tel Dieu perçu comme sujet fait de moi un objet et, rien de plus. Il me dépouille de ma subjectivité parce qu'il est tout-puissant et omniscient. Je me révolte alors et tente de ·faire de lui un objet, mais la révolte échoue et devient désespérée. Dieu apparaît comme le tyran invincible, l'être en comparaison duquel tous les autres êtres sont sans liberté ni subjectivité. Comparable en quelque sorte à ces tyrans récents qui, utilisant la terreur, s'efforcent de tout transformer en pur objet, en chose parmi les choses, en rouage de la machine qu'ils dirigent, un tel Dieu devient le modèle de tout ce contre quoi l'existentialisme s'est révolté. C'est le Dieu dont Nietzsche disait qu'il faut le tuer parce que personne ne peut tolérer d'être transformé purement et simplement en objet de connaissance et de domination absolues. Là se trouve également la racine la plus profonde de l'athéisme. C'est un athéisme qui se justifie comme réaction contre le théisme théologique et ses conséquences inquiétantes. Là se trouve également la racine la plus profonde du désespoir existentialiste et de l'angoisse de l'absurde largement répandue à notre époque.
Paul Tillich (Le Courage d’être)
J’ai pensé qu’il valait mieux qu’Aimée prenne ma place et c’est elle qui lui a raconté en détails tout ce que nous étions censés avoir fait ensemble.
Michelle Gable (L'appartement oublié)
J’ai pensé qu’il valait mieux qu’Aimée prenne ma place et c’est elle qui lui a raconté en détails tout ce que nous étions censés avoir fait ensemble. Elle a évoqué des choses dont je n’avais jamais entendu parler. J’ai cru comprendre que les hommes aimaient pénétrer les femmes par tous les orifices. Et Aimée se vante de pouvoir prendre un sexe entier dans sa bouche
Michelle Gable (L'appartement oublié)
Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c'est leur connerie, pas leurs différences...
Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
Ils n'étaient pas bavards. Ils n'avaient plus l'habitude de partager leurs repas. Le protocole ne fut donc pas très au point et tous deux eurent du mal à se dépêtrer de leur solitude...Mais c'était des gens bien élevés et ils firent un effort pour porter beau. S'égayèrent, trinquèrent, évoquèrent le quartier.
Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout Audiobook PACK [Book + 2 CD MP3 - Abridged text])
On copiait démarche, ses gestes, ses coiffures. Elle servit, d'ailleurs, à établir les canons de la beauté, dont toutes les femmes, pendant cent ans, cherchèrent furieusement à se rapprocher: Trois choses blanches: la peau, les dents, les mains. Trois noires: les yeux, les sourcils, les paupières. Trois rouges: les lèvres, les joues, les ongles. Trois longues: le corps, les cheveux, les mains. Trois courtes: les dents, les oreilles, les pieds. Trois étroites: la bouche, la taille, l'entrée du pied. Trois grosses: les bras, les cuisses, le gros de la jambe. Trois petites: le tétin, le nez, la tête
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Quand je bois, je bois trop, quand je fume, je me bousille, quand j'aime, je perds la raison et quand je travaille, je me tue...Je ne sais rien faire normalement sereinement, je... - Et quand tu détestes? - Ça je sais pas... - Je croyais que tu me détestais, moi? - Pas encore, sourit-elle, pas encore...Tu verras quand ça arrivera...Tu verras la différence...
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D'abord, tu penserais que c'est un mec. Comme la première fois. Peut-être pas une folle, mais un type vachement efféminé quand même...Donc t'arrêterais de mater. Quoique...Tu aurais des doutes malgré tout...À cause de ses mains, de son cou, de cette façon qu'il avait de promener l'ongle de son pouce sur sa lèvre inférieure...Oui, tu hésiterais...C'était peut-être une fille finalement? Une fille habillée en sac. Comme si elle cherchait à cacher son corps Tu essayerais de regarder ailleurs mais tu ne pourrais pas t'empêcher d'y revenir. Parce qu'il y avait une run, là...L'air était spécial autour de cette personne. Ou la lumière peut-être? Voilà. C'était ça.
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Mais entre cuisiniers, vous parlez quand même? Vous vous racontez vos expériences? - Pas tellement... On est pas très bavards, tu sais...On est trop crevés pour jacter. On se montre des trucs, des tours de mains, on échange des idées, des morceaux de recettes qu'on a piquées ici ou là, mais ça va rarement plus loin... - C'est dommage... - Si on savait s'exprimer, faire des belles phrases et tout ça, on ferait pas ce boulot-là, c'est clair. Enfin moi en tout cas, j'arrêterais tout de suite.
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Le chef discutait avec un type super élégant dans son bureau. — C'est déjà un client? — Non, c'est le maître d'hôtel... — Eh ben... Il est drôlement classe... — En salle, ils sont tous beaux...Au début du service, c'est nous qui sommes propres et eux qui passent l'aspirateur en tee-shirt et plus le temps passe, plus la tendance s'inverse: on pue, on devient crades et eux ils passent devant nous, frais comme des gardons, avec leurs brushings et leurs costumes impeccables...
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Ils seront tous faits quand j'arriverai...Ce qui est amusant, c'est de s'enivrer en même temps que les autres, sinon c'est un peu déprimant...
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On se saluait chaque matin et l'on se droguait gentiment en rentrant le soir. Shit, herbe, pinard, incunables, Marie-Antoinette ou Heineken, c'était chacun son trip et Marvin pour tous.
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Le but, c'est que tu deviennes accro à mon picotin. Que tous les matins tu te lèves en te demandant ce qu'il y aura au menu.
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...pour la première fois et tous autant qu'ils étaient, ils eurent l'impression d'avoir une vraie famille. Mieux qu'une vraie d'ailleurs, une choisie, une voulue, une pour laquelle ils s'étaient battus et qui ne leur demandait rien d'autre en échange que d'être heureux ensemble. Même pas heureux d'ailleurs ils n'étaient plus si exigeants. D'être ensemble, c'est tout. Et déjà c'était inespéré.
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Bien sûr que non. Quand ils se tiennent mal, on n'est pas obligé d'aimer ses parents. Bien sûr que si. Pourquoi? Ben parce que ce sont tes parents justement... Pff...C'est pas dur d'être parents y suffit de baiser. C'est après que ça se complique...
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La main, c'est bien. Ça n'engage pas trop celui qui la donne et ça apaise beaucoup celui qui la reçoit...
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Il ne lui répondit qu'une seule fois: 01:16 silence Voulait-il dire: fin du service, paix, calme, ou voulait-il dire: boucle-la?
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Bon. Il ne te reste plus que cinq minutes pour arriver à prononcer une phrase de sept mots, c'est faisable, non? Allez, badinait-il pour de faux, si c'est trop, sept, trois me suffiraient...Mais les bons, hein? Merde! J'ai pas composté mon billet...Alors?
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Le rire énorme de cette femme, ce travail débile chez Touclean, la Bredart, les histoires abracadabrantes de Carine, les engueulades, les cigarettes échangées, la fatigue physique, leurs fous rires imbéciles et leurs méchantes humeurs quelquefois, tout cela l'aidait à vivre. L'aidait à vivre, oui.
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Maintenant l’empire a été pacifié ; les lois et les ordonnances émanent d’un seul ; le peuple et les chefs de famille s’appliquent aux travaux de l’agriculture et de l’industrie ; les classes supérieures s’instruisent des lois et des ordonnances, des interdictions et des défenses. Cependant les maîtres-lettrés ne prennent pas modèle sur le présent, mais étudient l’antiquité afin de dénigrer l’époque actuelle ; ils jettent le doute et le trouble parmi les tètes noires. Le conseiller, votre sujet (Li) Se, se dissimulant qu’il s’expose à la mort, dît : Dans l’antiquité, l’empire était morcelé et troublé ; il ne se trouvait personne qui pût l’unifier ; c’est pourquoi les seigneurs régnaient’ simultanément. Dans leurs propos, (les lettrés) parlent’ tous de l'antiquité afin de dénigrer le temps présent ; ils colorent des faussetés afin de mettre la confusion dans ce qui est réel : ces hommes font valoir l’excellence de ce qu’ils ont appris dans leur étude privée afin de dénigrer ce qu’a institué Votre Majesté. Maintenant que le souverain empereur possède l’empire dans son ensemble, qu’il a distingué le noir du blanc et qu’il a imposé l’unité, ils mettent en honneur leurs études privées et tiennent des conciliabules. Ces hommes qui condamnent les lois et les instructions, dès qu'ils apprennent qu'un édit a été rendu, s'empressent de le discuter chacun d'après ses propres principes; lorsqu'ils sont à la cour, ils dessape prouvent dans leur for intérieur ; lorsqu'ils en sont sortis, ils délibèrent dans les rues; louer le souverain, ils estiment que c'est (chercher) la réputation; s'attacher à des principes extraordinaires, ils pensent que c'est le plus haut mérite ; ils entraînent le bas peuple à forger des calomnies. Les choses étant ainsi, si on ne s’y oppose pas, alors en haut la situation du souverain s’abaissera, tandis qu’en bas les associations se fortifieront. Il est utile de porter une défense. Votre sujet propose que les histoires officielles, à l’exception des Mémoires de Tshin, soient toutes brûlées : sauf les personnes qui ont la charge de lettrés au vaste savoir, ceux qui dans l’empire se permettent de cacher le Che (King), le Chou (King) ou les discours des Cent écoles, devront tous aller auprès des autorités locales civiles et militaires pour qu’elles les brûlent. Ceux qui oseront discuter entre eux sur le Che (King) et le Chou (King) seront (mis à mort et leurs cadavres) exposés sur la place publique ; ceux qui se serviront de l’antiquité pour dénigrer les temps modernes seront mis à mort avec leur parenté. Les fonctionnaires qui verront ou apprendront (que des personnes contreviennent à cet ordre), et qui ne les dénonceront pas, seront impliqués dans leur crime. Trente jours après que l’édit aura été rendu, ceux qui n’auront pas bruie (leurs livres) seront marqués et envoyés aux travaux forcés. Les livres qui ne seront pas proscrits seront ceux de médecine et de pharmacie, de divination par la tortue et achillée, d’agriculture et d’arboriculture ordonnances, qu’ils prennent pour maîtres les fonctionnaires. » Le décret fat : « Approuvé. »
Sima Qian
Dans l'ensemble de l'aire culturelle méditerranéenne, et pas seulement en terre d'Islam, la femme est depuis longtemps soumise à l'ordre patriarcal et ne se définit que par rapport aux hommes. Au Maghreb, elle n'a pas d'existence propre et autonome, Fatima ne sera jamais Fatima. Elle est donc fille bint Mustapha (fille de), ou mère oum Mustapha (mère de) ou ekht Mustapha (sœur de), selon son lien de parenté avec l'homme Mustapha. Hors de ces catégories, point de salut pour les femmes dans la doxa salafiste. Or l'émancipation progressive par l'éducation des filles de familles immigrées dans les années 70 et 80 mène tout droit et rapidement à l'effacement de ce schéma ainsi qu'à des phénomènes de fusion culturelle ou même familiale et a fortiori matrimoniale qui mettraient en péril le contrôle des fondamentalistes sur leur masse de manœuvre. L'idée est donc de ramener les femmes à leur état de domination et de contrôle par les mâles eux-mêmes déjà en voie de séparatisme. Difficile de faire appel à l'auctoritas patris. Dans les familles immigrées du Maghreb et du Sahel, les pères n'ont d'une façon générale qu'une autorité limitée. Ils sont parfois absents et souvent déconsidérés pour ne pas avoir trouvé dans la société d'accueil le statut et les revenus que la famille espérait. On ne peut guère compter sur eux pour ramener "dans le droit chemin" des filles qui leur ont déjà échappé par l'école. Les mères n'ayant pas voix au chapitre, c'est donc aux grands-frères qu'il incombera de faire sortir leurs sœurs et leurs femmes des chemins de l'intégration pour les isoler, les soustraire aux tentations modernistes occidentales impies et les placer sous la coupe des salafistes.
Alain Chouet (Sept pas vers l'enfer. Séparatisme islamique : les désarrois d'un officier de renseignement (French Edition))
Ce qu'elle prend pour de vraies pensées lui vient quand elle est seule ou en promenant l'enfant. Les vraies pensées ne sont pas pour elle des réflexions sur les façons de parler et de s'habiller des gens, la hauteur des trottoirs pour la poussette, l'interdiction des Paravents de Jean Genet et la guerre au Vietnam, mais des questions sur elle-même, l'être et l'avoir, l'existence. C'est l'approfondissement de sensations fugitives, impossibles à communiquer aux autres, tout ce que, si elle avait le temps d'écrire - elle n'a même plus celui de lire -, serait la matière de son livre. Dans son journal intime, qu'elle ouvre très rarement comme s'il constituait une menace contre la cellule familiale, qu'elle n'ait plus le droit à l'intériorité, elle a noté : "Je n'ai plus d'idées du tout. Je n'essaie plus d'expliquer ma vie" et "je suis une petite-bourgeoise arrivée." Elle a l'impression d'avoir dévié de ses buts antérieurs, de n'être plus que dans une progression matérielle. "J'ai peur de m'installer dans cette vie calme et confortable, d'avoir vécu sans m'en rendre compte". Au moment même où elle fait ce constat, elle sait qu'elle n'est pas prête à renoncer à tout ce qui ne figure jamais dans ce journal intime, cette vie ensemble, cette intimité partagée dans un même endroit, l'appartement qu'elle a hâte de retrouver les cours finis, le sommeil à deux, le grésillement du rasoir électrique le matin, le conte des Trois petits cochons le soir, cette répétition qu'elle croit détester et qui l'attache, dont un éloignement momentané de trois jours pour passer le Capes lui a fait sentir le manque - tout ce qui, quand elle en imagine la perte accidentelle, lui serre le coeur.
Annie Ernaux (Les Années)
Travaux en vert («opérations en vert» ou «façons en vert»)–opposés aux «travaux d’hiver» – sont, disent les dictionnaires, «l'ensemble des opérations culturales (rognage, l’ébourgeonnage, éclaircissages, la vendange en vert, le pincement, l’écimage, le rognage, l'entre-cœur, l’effeuillage etc.) que les vignerons pratiquent sur la vigne au cours de la période végétative» et «ils ont le plus souvent pour but de favoriser le mûrissement des grappes». Travaux en vert c’est, donc, une métaphore qui renvoie à des choses très précises. Comme pour la vigne et pour le bon vin sont nécessaires toutes sortes de «travaux», parfois, quand la culture devient «sauvage» (par l'abandon aussi) des «opérations», des «travaux» de toutes sortes sont, de même nécessaires. C'est la conclusion du personnage du livre, prof à la Faculté de Lettres (comme moi), qui doit parler de la poésie devant un «public» qui a perdu complètement, par ignorance aussi, le goût de la poésie, la vraie. La prof essaie de faire ses «travaux» et son «plaidoyer pour la poésie» d’une façon «alternative», en mélangeant des citations des grands écrivains et des allusions à la culture underground ou à la culture pop, des personnages de bandes dessinées et de Muppet’s Show, des films, des groupes de musiques etc. etc. J'ai fait, en 324 pages, une sorte d'histoire de la poésie, avec la participation des poètes de partout, de tous les temps. J'ai convoqué aussi «les hypocrites lecteurs» (semblables et frères!). J'espère que les fragments du livre roumain traduit en français peuvent donner une idée du projet de ce... Bildungspoem. (p. 9-10)
Simona Popescu (Lucrări în verde sau Pledoaria mea pentru poezie)
La tsédaka n'est pas qu'un simple principe de générosité. C'est non seulement un vrai projet messianique pour le monde, un bouleversement, mais également une règle à suivre quotidiennement, une discipline personnelle qui, comme toute chose dans notre tradition, est expliqué dans les moindres détails. Ensemble (extrait du mot de la fin, par Yeshaya Dalsace, Rabbin de la communauté Maayane Or, Nice)
Geneviève Brisac
Je veux te parler des longues heures de queue qu'on faisait ensemble, en sortant du travail, après t'avoir récupérée à la crèche. Les longues files d'attente debout, avec toi dans les bras, ces queues larges qui ressemblaient plutôt à des manifestations, stagnant devant les magasins alimentaires fermés, en attendant l'ouverture. On se battait pour être parmi les premiers, car il n'y avait jamais assez pour tout le monde, et ceux qui formaient la queue de la queue partaient à coup sûr la queue entre les jambes. Mais ils restaient quand même, croyant, espérant un miracle. Pouvait-on se permettre de laisser passer une chance, aussi petite soit-elle? Tiens, je me rappelle d'une queue particulièrement longue, une queue que j'ai quittée en pleurant. Tu avais deux, trois ans. J'avais les règles et un mal au ventre et aux reins terrible. Il me tardait de rentrer à la maison, me doucher et m'allonger un peu. Mais en descendant du bus, j'ai vu des gens se ruer à travers la place, vers le côté opposé du centre-ville. Ventre ou pas ventre, j'ai suivi la foule en courant, toi dans les bras. Il fallait toujours, toujours, suivre une foule en déplacement au pas de charge, car personne ne courait pour rien, là-bas. C'est seulement ici, en France, que j'ai vu des gens courir pour rien: ils font du footing, pour ne pas être trop gros. Là-bas, on courait pour ne pas être trop maigre. Là-bas, ça se passait comme ça: je ne saurai jamais comment, quelqu'un arrivait à avoir une formation (fondée ou non), et il donnait l'alerte: « ils vont vendre des œufs à tel endroit », ou du fromage, ou des poulets, (ça, les poulets, c'était plus rare et la plupart du temps une chimère). Ou du dentifrice, ou du papier cul. Tout était bon à prendre car on ne pouvait pas savoir quand un autre arrivage viendrait.
Cristina Andreescu (Du communisme au capitalisme Lettre à ma fille (French Edition))
Beaucoup d’amitiés (et d’amours) se terminent là, ne survivent pas au passage d’une phase à l’autre, et finissent au mieux par ressembler à ‘’ce pacte d’invisibilité et de non-agression’’ […]. Comment notre amitié a-t-elle pu survivre aux silences et aux affrontements, traverser l’épreuve de la différence, faire du désaccord radical ‘’ce qui nous oblige à rester ensemble’’, devenir une ‘’amitié dialectique’’, semblable à celle qui te reliait à Pierre Vadeboncoeur, celle de ‘’deux êtres qui savent, chacun pour soi, que l’autre vit dans un monde qui n’est pas le sien, et qui acceptent sereinement qu’il en soit ainsi’’ ? La réponse que tu donnes a la justesse du paradoxe lié au processus même de la connaissance qui est aussi celui de l’amitié : plus nous connaissons quelque chose, plus l’inconnu grandit, plus nous sommes liés à quelqu’un que nous aimons, plus la distance entre nous grandit et nous rend ‘’son identité de plus en plus énigmatique, sa vérité de plus en plus insaisissable, et toutes deux, pourtant, toujours plus irremplaçables’’. C’est ainsi que sans avoir cessé d’être soi, sans avoir renoncé à incarner la vérité qui nous a été confiée, sans nous être dérobés ‘’à cette force aveugle qui, sans que nous le sachions, nous façonne et nous oriente de manière si imprévisible et, à partir des mêmes matériaux, fait tel visage à l’un et tel autre à celui-là’’, nous nous sommes si bien perdus de vue que nous en sommes venus à ne plus voir que le monde qui surgit entre nous des pôles contraires dont nous avons la garde, à voir que la distance qui nous sépare est aussi le chemin qui nous relie, que l’existence de l’autre à l’autre bout du chemin nous libère de nous-mêmes, du noyau dur de notre être […]. Don Quichotte et Sancho tiennent chacun un bout du monde pour ne pas qu’il s’écroule dans le non-sens ou pour en retarder la chute. […] Ce qui nous relie désormais, ‘’ce lien entre nous, c’est certain, qui ne se brisera qu’avec la mort’’, n’est-ce pas au fond la fidélité à l’enfance, à ce que nous étions lorsque nous n’étions pas encore sûrs d’être quelqu’un, fidélité à cette affinité élective qu’aucun désaccord ne peut plus effacer, car elle ne repose plus sur ‘’les ressemblances de tempérament ou les communautés de vues ou de goûts’’, mais sur ce désir d’être autre, que l’autre a éveillé en nous, et qui a donné à chacun la force d’être soi en imitant, en admirant l’autre ?
Yvon Rivard
Ils usent de toutes leurs ruses, mais la seule chose qui naît au fil des heures, c'est le respect de l'un de l'autre, et l'idée, peut-être, que lorsque deux frères s'affrontent, ils ne peuvent que mourir ensemble, d'un seul coup.
Laurent Gaudé (Salina - Classiques et Contemporains)
L'autre erreur que nous avons faite, c'est de laisser cette petite minorité décider seule du présent et du futur qu'elle voulait pour nous. L'idéal d'efficacité et d'optimisation que ces technologies véhiculent n'est pas celui de la société dans son ensemble, mais bien celui spécifique à l'esprit start-up. Leurs employés sont une foule de jeunes hommes privilégiés, sans obligations familiales, associatives ou communautaires, qui s'autocongratulent de leur capacité à abattre un nombre invraisemblable d'heures de travail sans voir que leurs succès ne sont possibles que grâce à d'autres emplois souvent sous-payés, voire non payés. C'est aussi dans cet esprit qu'ils décident de la manière dont ils construisent leurs modèles algorithmiques (comme ils l'entendent), les résultats susceptibles d'être mis sur le marché (ceux qui leur plaisent), des secteurs de la société méritant d'être pris d'assaut par leurs inventions (tous), des données utilisables pour parvenir à leurs objectifs (toutes).
Mathilde Saliou (Technoféminisme)
Ceux qui liront mon livre me connaîtront : peut-être est-il au dessous de moi, mais il est bien moi ; je ne l'ai point fait pour le faire, je n'ai rien déguisé, c'est un tout, un ensemble, corollairement juxta-posé, de cris de douleur et de joie jetés au milieu d'une enfance rarement dissipée, souvent détournée et toujours misérable.
PETRUS BOREL 1809-1859
Comme c'est étrange que des êtres qui s'estiment, s'aiment, ne puissent cohabiter longtemps sans que leurs rapports ne se détériorent. Comme si l'amitié, l'amour avaient besoin d'espace pour perdurer. Et en même temps, cet éloignement physique, qui garde intacts les sentiments que l'on a pour l'autre et qui embellit le souvenir, nous éloigne à jamais de l'autre s'il dure trop longtemps. On a l'impression que les hommes ne se rencontrent que pour faire un bout de chemin ensemble, pour une durée et une expérience bien précises, avant de se séparer pour permettre à chacun d'avancer tout seul dans ce labyrinthe qu'est la vie ou avant d'être séparés par la mort. Que retient l'homme de ces séparations souvent douloureuses?
Angele Rawiri (The Fury and Cries of Women (CARAF Books: Caribbean and African Literature Translated from French))
Vous savez, Madame, que j’ajoute un grand prix à l’étude des nuances qu’il y a entre le caractère des diférentes nations, et je crois pouvoir démontrer un jour qu’à moins de n’en venirjusque là, jusqu’à développer le caractère de chaque nation, je dirais même de chaque peuplade d’après ses nuances individuelles, on travaillera toujours en vain tant en morale, qu’en politique. On s’occupe beaucoup trop peu de l’homme et beaucoup trop des ouvrages qu’il fait et des institutions qui doivent le diriger, et on néglige surtout de l’étudier dans l’ensemble de son individu. C’est là surtout ce qui rend, ce me semble, la philosophie en France si vague et la poésie pour la plupart aussi froide et peu intéressante. Tout ce qui ne consiste qu’en généralités, tou- jours abstraites, ne saurait all au cœur ni être appliqué avec fruit à la vie sociale. C’est encore là pourquoi le système de la perfectibilité trouve plus d’adversaires en France qu’en nul autre pays. Car ce système, comme vous l’avez si bien démontré, ne se fonde que sur ce que le développe- ment des facultés de l’homme ne connait aucunes bornes que l’homme lui-même pût leur as- signer. On ne peut le combattre qu’en s’attachant aux choses, aux ouvrages qu’il produit. On part de l’idée déterminée et circonscrite qu’on s’est formé de ces ouvrages et il est aisé de dire pour lors qu’il serait impossible d’aller plus loin. Il est si facile de voir les résultats heureux que produit la diférence entre le génie et le caractère des individus comme des nations; on n’a qu’à comparer la littérature français et allemande pour s’en convaincre. Néanmoins on voudrait se priver de ces mêmes avantages et au lieu de cultiver, de développer et de purifier la société des caractères, on voudrait l’annuler, et n’établir partout qu’une même manière de voir, de penser et de s’énoncer. On ne voit donc qu’il doit nécessairement chercher de nouveaux idiomes puisqu’il entrevoit toujours des idées que ceux qu’il connait, n’expriment qu’imparfaitement.
Wilhelm von Humboldt
L’enthousiasme que le beau idéal nous fait éprouver, cette émotion pleine de trouble et de pureté tout ensemble, c’est le sentiment de l’infini qui l’excite. Nous nous sentons comme dégagés, par l’admiration, des entraves de la destinée humaine, et il nous semble qu’on nous révèle des secrets merveilleux, pour afranchir l’âme à jamais de la langueur et du déclin.
Madame de Staël (De L'Allemagne, 1 and 2 by Madame De Stael)
Ces vieux immeubles en briques d'avant-guerre. Ils bossaient comme des dingues, pas encore trente ans, et se trouvaient le soit, complètement claqués mais contents. À ses yeux, Philippe n'avait pas son pareil et quand ils allaient dans une soirée, un bar, elle voyait les regards sur eux et s'en délectait jusqu'à la bêtise. Ils avaient tout, la jeunesse, du fric, bon goût, une pile d'Inrocks dans les toilettes et une super machine à expresso. Ils s'habillaient dans les petites boutiques du Marais et elle portait ce parfum pour homme Bensimon qu'il adorait. Le dimanche matin, ils descendaient à pied jusqu'à Jourdain et prenaient une baguette tradi puis du fromage, des fruits et des légumes bios, du saucisson et un bouquet de fleurs au marché. Leur cabas en tissu écossais, Philippe et ses Vans, elle en ballerines, c'était toujours le printemps, dans sa mémoire en tout cas. Avant de regagner leur appart, ils s'installaient à une terrasse pour regarder les passants. Tous deux aimaient ce quartier resté populaire, c'est ce qu'ils disaient à leurs potes, tard le soir, quand ils se saoulaient au Chéri ou au Zorba, des cafés de Belleville qui ne désemplissaient pas et attiraient toute une faune de jeunes gens marginalement marginaux et principalement adéquats. Ensemble, ils faisaient des gueuletons sur-arrosés au Président, brunchaient, se forçaient à aller voir les dernières expos, les films au sujet desquels il fallait avoir un avis, assistaient à des concerts à la Cigale, au Divan du Monde, à la Boule Noire et écoutaient des groupes de punk à la Miroiterie. Pour dissiper le stress du boulot, rien ne valait ces loisirs-vitrines, des trucs dont on pouvait parler avec ses proches et les collègues, le dernier petit resto branché, les meilleurs bagels de la ville.
Nicolas Mathieu (Connemara)
fallait se soumettre à cet indispensable carnaval, seul remède contre la fatalité de l’amour et le pouvoir dissolvant de la routine que subissent tous les amoureux lorsque, après avoir été deux amants distincts, ils ne deviennent plus qu’un couple ensemble. C’est le début de la grande installation, le grand oubli de soi et de l’autre, la fin du grand mensonge qui leur avait permis, jusqu’alors, d’être parfaits, beaux, impeccables et sentant toujours bon, et qui soudain autorise tous les laisser-aller : vêtements confortables, pantalons élastiques, bedaine qui pousse, poils disgracieux, mauvaise haleine. « Chéri, tu peux m’apporter du papier-toilette, s’il te plaît ? » Le plateau-repas devant le film du soir. S’endormir comme deux sacs sur le canapé, la télévision à plein tube, avec bouche ouverte, ronflements et tout le tralala. Jamais ! s’était promis Lev. Pas avec Anastasia ! Plutôt mourir.
Joël Dicker (L'Enigme de la chambre 622 (French Edition))
des grotesques ; Polyphème est un grotesque terrible ; Silène est un grotesque bouffon. Mais on sent ici que cette partie de l’art est encore dans l’enfance. L’épopée, qui, à cette époque, imprime sa forme à tout, l’épopée pèse sur elle, et l’étouffe. Le grotesque antique est timide, et cherche toujours à se cacher. On sent qu’il n’est pas sur son terrain, parce qu’il n’est pas dans sa nature. Il se dissimule le plus qu’il peut. Les satyres, les tritons, les sirènes sont à peine difformes. Les parques, les harpies sont plutôt hideuses par leurs attributs que par leurs traits ; les furies sont belles, et on les appelle euménides, c’est-à-dire douces, bienfaisantes. Il y a un voile de grandeur ou de divinité sur d’autres grotesques. Polyphème est géant ; Midas est roi ; Silène est dieu. Aussi la comédie passe-t-elle presque inaperçue dans le grand ensemble épique de l’antiquité. À côté des chars olympiques, qu’est-ce que la charrette de Thespis ? Près des colosses homériques, Eschyle, Sophocle, Euripide, que sont Aristophane et Plaute ? Homère les emporte avec lui, comme Hercule emportait les pygmées, cachés dans sa peau de lion. Dans la pensée des modernes, au contraire, le grotesque a un rôle immense. Il y est partout ; d’une part, il crée le difforme et l’horrible ; de l’autre, le comique et le bouffon.
Victor Hugo (Préface de Cromwell l'integrale (présenter et expliquer ) (French Edition))
À partir de cet exemple et de ses recherches, Damasio est l’un des premiers neuroscientifiques à montrer comment dans la vie, aucune décision n’est prise exclusivement rationnellement. De nombreux chercheurs le démontrent aujourd’hui avec précision. Combien de fois avez-vous rempli des lignes de pour et de contre pour aboutir au statut quo face à une décision à prendre ? Dans tout processus décisionnel, le choix se réalise par comparaison entre les scénarios qu’on imagine : si je fais ceci, j’obtiendrai cela. Toute décision change la situation qu’il faut à nouveau analyser pour à nouveau choisir. Il y a les petits choix de la vie quotidienne qui se déroulent le plus souvent en pilotage automatique, et les choix plus importants pour eux qui tournent en boucle dans la tête et qui empêchent de dormir). il y a enfin toutes les situations ou l’on ne choisit pas vraiment (en tout cas pas consciemment) parce qu’on est en mode réactionnel. Dans ces situations, on n’agit pas pour obtenir quelque chose, mais parce que quelque chose. Nous reviendrons sur ce point car c’est l’un des meilleurs moyens de ne pas résoudre un problème. Si l’un des scenarii a plus de poids qu’un autre, c’est en fonction de l’émotion que l’on ressent à sa mise en image dans notre esprit. C’est ce penchant affectif, parfois très faible ou très intense, qui conduit à choisir. L’affectif est un support au rationnel, l’un et l’autre ne s’opposent pas. Pour acheter un yaourt nature ou aux fruits, pour mettre un point de plus à une copie, pour interroger un élève ou un autre, pour changer d’établissement ou se séparer d’un conjoint, le processus est le même : nous imaginons le scénario conséquent à telle décision et nous choisissons celui qui nous plaît le plus ou nous déplaît le moins. Comme le sel, l’affecte est un exhausteur de goût, il donne une saveur agréable ou désagréable à un scénario particulier. Et nous choisissons l’action qui mettra en acte le scénario que nous trouvons à notre goût. Au lieu d’opposer raison et émotion, il faut pouvoir associer les deux en se permettant de penser sur ses sentiments et de ressentir ses idées. (p. 55)
Nathalie Francols (Profs et élèves, apprendre ensemble - Situations quotidiennes à comprendre et à dénouer)
Lorsqu’on observe des transcriptions de classe pendant les temps collectifs, quel que soit le niveau de classe, on constate que 75 % du temps environ est occupé par la parole de l’enseignant. La plupart des productions orales des élèves sont prises en sandwich entre une question (« Qui… ? », « Pourquoi ? ») et une évaluation (« Pas tout à fait… », « Le Nil est le plus long oui très bien… »). Les interventions de l’enseignant sont des consignes, des directives comportementales, des informations complémentaires, et s’adressent tantôt à l’ensemble de la classe, tantôt à un élève ou plusieurs élèves désignés. Si 75 % du temps est occupé par la parole de l’enseignant, cela conduit mathématiquement à un partage des 25 % de l’espace de production orale restant entre élèves. S’ils sont 25, et tous gentils et polis, ils auront 1 % chacun… L’expression « cours dialogué » est une erreur. Un dialogue se déroule à deux, si on parle de cours dialogué, alors on considère l’ensemble des élèves comme un seul homme. Or les élèves forment un groupe classe à géométrie variable : de petits groupes de travail, des groupes d’affinités, des groupes de niveau, des individualités juxtaposées. Le flot de paroles et la situation d’interlocution à plus de 25 obligent les élèves à s’adapter au fil continu de la définition des rôles interlocutifs dans la classe. En effet, c’est quasi à chaque tour de parole que l’enseignant définit ceux qui seront simples témoins d’un échange, et ceux qui seront directement concernés par une requête. (p. 20)
Nathalie Francols (Profs et élèves, apprendre ensemble - Situations quotidiennes à comprendre et à dénouer)
Aujourd’hui j’ai fait un malaise dans le tram 21 une torpeur s’est comme ça emparée de moi et ce mal(être) m’a cloué débout. là-bas à mi-chemin du tram 21. où se scinde en deux la vie. là-bas tandis que je prenais appui sur la barre latérale de moi s’est emparé ce mal(être). si je me souviens bien c’était à mi-chemin du tram où se tiennent les petits balanciers. les grands balanciers sont plus proches du conducteur. nul besoin d’avoir un certain âge pour les balanciers on peut même n’être qu’un enfant si l’on veut, pour les balanciers. ceux qui passent dans l’autre moitié du tram reçoivent gracieusement un balancier pour s’y balancer. et tandis que je comptais les arrêts jusqu’à piața obor. c’est comme ça qu’un mal(être) s’est emparé de moi et m’a ramolli les genoux. le noir devant mes yeux. petit ou grand mal(être) je n’en sais rien puisque je ne suis pas encore mort tout à fait. juste la mollesse de mes genoux et la voix familière criant emil emil. étendez-le par terre il a quelque chose comme un mal(être). et laissez-le respirer tout seul. criaient les voyageurs. forts aimables les passagers du tram 21. l’un m’a offert sa place. un autre a ouvert la fenêtre. fort aimables les voyageurs après tout j’étais l’un des leurs. juste mon front en sueur et mes mains moites et froides. seul le mal(être) s’amenuisait lentement et ma colère noire dans le tram 21 ne me lâchait plus. de ma prière vers dieu je ne me souviens plus guère. seule de la voix féminine attendue toute ma vie à l’arrêt perla pour prendre ensemble le tram 21 qui était en fait le tram 46. je m’en souviens. qu’il nous emmène qu’il nous emmène à ce marché obor pour l’agneau de Pâques. (traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
Emil Iulian Sude (Paznic de noapte)
Tout le monde a l'air de savoir qui sont ces Autres ; tout le monde parle d'eux, mais eux ne parlent jamais. En effet, dans quels discours apparaître l'Autre, sous sas forme singulière ou plurielle ? Sous la forme d'un discours adressé à des gens qui ne sont pas les Autres. Mais d'où viennent ces Autres ? Y a-t-il des Autres, et si oui, pourquoi ? Il faut, pour éclaircir ce mystère, en revenir à l'invite. Qui est invité à accepter les Autres ? Pas les Autres, évidemment. Et qui fait cette demande ? De son énonciateur, qui ne dit pas son nom, tout ce qu'on sait, c'est qu'il n'est pas un Autre. Ce n'est pas lui-même qu'il nous invite à accepter. Mais pas plus qu'il ne dit qui il est, il n'énonce qui est ce « Nous » à qui il s'adresse. Derrière l'Autre dont on entend parler sans arrêt, sans qu'il parle, se cache donc une autre personne, qui parle tout le temps sans qu'on n'en entende jamais parler : l'« Un », qui parle à « Nous ». C'est-à-dire à l'ensemble de la société de la part de l'ensemble de la société. De la société normale. De la société légitime. De celle qui est l'égale du locuteur qui nous invite à tolérer les Autres. Les Autres ne sont pas, par définition, des gens ordinaires, puisqu'ils ne sont pas « Nous ». Qui est ce « Un » parlant ? Avant toute autre chose, on sait, parce qu'il le fait, qu'il est celui qui peut définir l'Autre. Ensuite, il prendra une position de tolérance ou d'intolérance. Mais cette prise de position est seconde par rapport à sa capacité à définir l'Autre : à ce pouvoir. Les Autres sont donc ceux qui sont dans la situation d'être définis comme acceptables ou rejetables, et d'abord d'être nommés. Au principe, à l'origine de l'existence des Uns et des Autres, il y adonc le pouvoir, simple, brut, tout nu, qui n'a pas à se faire ou à advenir, qui est. (p. 18-19)
Christine Delphy (Classer, dominer: Qui sont les "autres" ? (French Edition))
Rhinocéros , Eugène Ionesco Le Vieux Monsieur et le Logicien vont s’asseoir à l’une des tables de la terrasse, un peu à droite et derrière Jean et Bérenger. Bérenger, à Jean : Vous avez de la force. Jean : Oui, j’ai de la force, j’ai de la force pour plusieurs raisons. D’abord, j’ai de la force parce que j’ai de la force, ensuite j’ai de la force parce que j’ai de la force morale. J’ai aussi de la force parce que je ne suis pas alcoolisé. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que c’est l’alcool qui pèse en réalité. Le Logicien, au Vieux Monsieur : Voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats. Le Vieux Monsieur, au Logicien : Mon chien aussi a quatre pattes. Le Logicien, au Vieux Monsieur : Alors c’est un chat. Bérenger, à Jean : Moi, j’ai à peine la force de vivre. Je n’en ai plus envie peut-être. Le Vieux Monsieur, au Logicien après avoir longuement réfléchi : Donc logiquement mon chien serait un chat. Le Logicien, au Vieux Monsieur : Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai. Bérenger, à Jean : La solitude me pèse. La société aussi. Jean, à Bérenger : Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pèse, ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur et vous n’avez aucune logique. Le Vieux Monsieur, au Logicien : C’est très beau la logique. Le Logicien, au Vieux Monsieur : A condition de ne pas en abuser. Bérenger, à Jean : C’est une chose anormale de vivre. Jean : Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit. Bérenger : Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares. Jean : Les morts, ca n’existe pas, c’est le cas de le dire !… Ah ! ah !… (Gros rire) Ceux-là aussi vous pèsent ? Comment peuvent peser des choses qui n’existent pas ? Bérenger: Je me demande moi-même si j’existe ! Jean, à Bérenger : Vous n’existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez. Le Logicien, au Vieux Monsieur : Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat. Le Vieux Monsieur : Et il a quatre pattes. C’est vrai, j’ai un chat qui s’appelle Socrate. Le Logicien : Vous voyez… Jean, à Bérenger : Vous êtes un farceur, dans le fond. Un menteur. Vous dites que la vie ne vous intéresse pas. Quelqu’un, cependant, vous intéresse ! Bérenger : Qui ? Jean : Votre petite camarade de bureau, qui vient de passer. Vous en êtes amoureux ! Le Vieux Monsieur, au Logicien : Socrate était donc un chat ! Le Logicien : La logique vient de nous le révéler. Jean : Vous ne vouliez pas qu’elle vous voie dans le triste état où vous vous trouviez. Cela prouve que tout ne vous est pas indifférent. Mais comment voulez-vous que Daisy soit séduite par un ivrogne ? Le Logicien : Revenons à nos chats. Le Vieux Monsieur, au Logicien : Je vous écoute. Bérenger, à Jean : De toute façon, je crois qu’elle a déjà quelqu’un en vue. Jean, à Bérenger : Qui donc ? Bérenger, à Jean : Dudard. Un collègue du bureau : licencié en droit, juriste, grand avenir dans la maison, de l’avenir dans le cœur de Daisy, je ne peux pas rivaliser avec lui. Le Logicien, au Vieux Monsieur : Le chat Isidore a quatre pattes. Le Vieux Monsieur : Comment le savez-vous ? Le Logicien : C’est donné par hypothèse. Bérenger, à Jean : Il est bien vu par le chef. Moi, je n’ai pas d’avenir, pas fait d’études, je n’ai aucune chance. Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ah ! par hypothèse ! Jean, à Bérenger : Et vous renoncez, comme cela… Bérenger, à Jean : Que pourrais-je faire ? Le Logicien, au Vieux Monsieur : Fricot aussi a quatre pattes. Combien de pattes auront Fricot et Isidore ? Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ensemble ou séparément ? Jean, à Bérenger : La vie est une lutte, c’est lâche de ne pas combattre !
Eugène Ionesco (Rhinocéros)
si les sciences qui intéressent tant les Occidentaux n’avaient jamais acquis antérieurement un développement comparable à celui qu’ils leur ont donné, c’est qu’on n’y attachait pas une importance suffisante pour y consacrer de tels efforts. Mais, si les résultats sont valables lorsqu’on les prend chacun à part (ce qui concorde bien avec le caractère tout analytique de la science moderne), l’ensemble ne peut produire qu’une impression de désordre et d’anarchie ; on ne s’occupe pas de la qualité des connaissances qu’on accumule, mais seulement de leur quantité ; c’est la dispersion dans le détail indéfini. De plus, il n’y a rien au-dessus de ces sciences analytiques : elles ne se rattachent à rien et, intellectuellement, ne conduisent à rien ; l’esprit moderne se renferme dans une relativité de plus en plus réduite, et, dans ce domaine si peu étendu en réalité, bien qu’il le trouve immense, il confond tout, assimile les objet les plus distincts, veut appliquer à l’un les méthodes qui conviennent exclusivement à l’autre, transporte dans une science les conditions qui définissent une science différente, et finalement s’y perd et ne peut plus s’y reconnaître, parce qu’il lui manque les principes directeurs. De là le chaos des théories innombrables, des hypothèses qui se heurtent, s’entrechoquent, se contredisent, se détruisent et se remplacent les unes les autres, jusqu’à ce que, renonçant à savoir, on en arrive à déclarer qu’il ne faut chercher que pour chercher, que la vérité est inaccessible à l’homme, que peut-être même elle n’existe pas, qu’il n’y a lieu de se préoccuper que de ce qui est utile ou avantageux, et que, après tout, si l’on trouve bon de l’appeler vrai, il n’y a à cela aucun inconvénient. L’intelligence qui nie ainsi la vérité nie sa propre raison d’être, c’est-à-dire qu’elle se nie elle-même ; le dernier mot de la science et de la philosophie occidentales, c’est le suicide de l’intelligence ;
René Guénon (East and West)
Ce sont des gosses en échec scolaire, m'explique-t-il, la mère est seule le plus souvent, certains ont déjà eu des ennuis avec la police, ils ne veulent pas entendre parler des adultes, ils se retrouvent dans des classes relais, quelque chose comme tes classes aménagées des années soixante-dix, je suppose. Je prends les caïds, les petits chefs de quinze ou seize ans, je les isole provisoirement du groupe, parce que c'est le groupe qui les tue, toujours, il les empêche des e constituer, je leur colle une caméra dans les mains et je leur confie un de leurs potes à interviewer, un gars qu'ils choisissent eux-mêmes. Ils font l'interview seuls dans un coin, loin des regards, ils reviennent, et nous visionnons le film tous ensemble, avec le groupe, cette fois. Ça ne rate jamais : l'interviewé joue la comédie habituelle devant l'objectif, et celui qui filme entre dans son jeu. Ils font les mariolles, ils en rajoutent sur leur accent, ils roulent des mécaniques dans leur vocabulaire de quatre sous en gueulant le plus fort possible, comme moi quand j'étais môme, ils en font des caisses, comme s'ils s'adressaient au groupe, comme si le seul spectateur possible, c'était le groupe, et pendant la projection leurs copains se marrent. Je projette le film une deuxième, une troisième, une quatrième fois. Les rires s'espacent, deviennent moins assurés. L'intervieweur et l'interviewé sentent monter quelque chose de bizarre, qu'ils n'arrivent pas à identifier. À la cinquième ou à la sixième projection, une vraie gêne s'installe entre leur public et eux. À la septième ou à la huitième (je t'assure, il m'est arrivé de projeter neuf fois le même film !), ils ont tous compris, sans que je le leur explique, que ce qui remonte à la surface de ce film, c'est la frime, le ridicule, le faux, leur comédie ordinaire, leurs mimiques de groupe, toutes leurs échappatoires habituelles, et que ça n'a pas d'intérêt, zéro, aucune réalité. Quand ils ont atteint ce stade de lucidité, j'arrête les projections et je les renvoie avec la caméra refaire l'interview, sans explication supplémentaire. Cette fois on obtient quelque chose de plus sérieux, qui a un rapport avec leur vie réelle ; ils se présentent, ils disent leur nom, leur prénom, ils parlent de leur famille, de leur situation scolaire, il y ades silences, ils cherchent leurs mots, on les voit réfléchir, celui qui répond autant que celui qui questionne, et, petit à petit, on voit apparaître l'adolescence chez ces adolescents, ils cessent d'être des jeunes quis 'amusent à faire peur, ils redeviennent des garçons et des filles ed leur âge, quinze ans, seize ans, leur adolescence traverse leur apparence, elle s'impose, leurs vêtements, leurs casquettes redeviennent des accessoires, leur gestuelle s'atténue, instinctivement celui qui filme resserre le cadre, il zoome, c'est leur visage qui compte maintenant, on dirait que l'interviewer écoute le visage de l'autre, et sur ce visage, ce qui apparaît, c'est l'effort de comprendre, comme s'ils s'envisageaient pour la première fois tels qu'ils sont : lis font connaissance avec la complexité. (p. 236-237)
Daniel Pennac (Chagrin d'école)
On pourrait évoquer à ce sujet un autre ensemble de phénomènes modernes typiques qui, partant de la vie la plus banale, investissent aussi le plan de la culture. En effet, la tendance sadique au sens large s'exprime également dans un aspect de l'art et de la littérature, lorsque ceux-ci se complaisent à mettre en évidence des types et des situations se rapportant à une humanité brisée, vaincue ou corrompue. Le prétexte bien connu, c'est que « cela aussi, c'est la vie », ou encore que tout cela doit être montré dans le seul but de provoquer une réaction. En réalité, ce qui agit ici, c'est plutôt ce que les Allemands appellent la Schadenfreude, la joie de salir, plaisir pervers et variété de sadisme, de complaisance sadique. On jouit en voyant non l'homme debout, mais l'homme déchu, raté ou dégénéré. On apprécie en somme, non la limite supérieure, mais la limite inférieure de la condition humaine (on pourrait renvoyer ici, en partie du moins, à ce que nous dirons plus loin au sujet du « rire des dieux »). II fut un temps où c'étaient surtout des écrivains et artistes juifs (ou russes) qui donnaient le ton dans ce domaine ; aujourd'hui, la chose est répandue partout.
Julius Evola (L'arco e la clava)
Soutenir que l’Islam apparaît constamment en filigrane dans l’ensemble de ses ouvrages, même ceux qui ont été publiés avant 1930, ne revient donc nullement à déformer la portée réelle de son enseignement, ni à en restreindre l’universalité par référence à une tradition particulière ; c ’est, tout au contraire, donner la clé véritable qui permet d’en saisir la signification profonde et de résoudre les difficultés apparemment inextricables auxquelles se heurtent toujours ceux qui cherchent à l’aborder d ’une façon extérieure, c ’est-à-dire au moyen d ’une approche purement documentaire et par un recours exclusif à la méthode « historique».
Charles-André Gilis (Introduction à l'enseignement et au mystère de René Guénon)
La notion d’intégration contient l’idée fausse que l’islâm est une religion étrangère. Seul Ordre révélé destiné à l’ensemble des hommes, l’islâm est chez lui partout. Affirmer le contraire revient à considérer les musulmans d’origine occidentale comme étant des étrangers dans leur propre pays. C’est plutôt l’essence de la religion traditionnelle qui a cessé d’avoir droit de cité en Occident. Ce que les Occidentaux veulent à tout prix « intégrer », c’est-à-dire domestiquer,ce n’est pas l’islâm, c’est la religion.
Charles-André Gilis (L'intégrité islamique : Ni intégrisme ni intégration)
Imagine un peu ce qui arriverait si, au lieu de baser nos croyances concernant le sexe hétéro sur l’idée que l’homme “pénètre” la femme, nous disions que c’est plutôt le vagin de la femme qui “consomme” le pénis de l’homme. Cette construction créerait un tout autre ensemble de connotations, en ce que la femme deviendrait l’initiatrice active, tandis que l’homme serait le participant passif et réceptif. On voit très facilement comment les hommes et la masculinité pourraient finir par être vus comme dépendants et existant au bénéfice des femmes et de la féminité. De la même manière, si on pensait à certain traits typiquement "féminins", comme d’être émotif et expansif, non pas comme des signes d’insécurité ou de dépendance mais comme des actes audacieux d’auto-expression, alors l’idéal masculin du “beau ténébreux” pourrait sembler timide et insécure en comparaison.
Julia Serano (Whipping Girl: A Transsexual Woman on Sexism and the Scapegoating of Femininity)
En tout état de cause, il importe de reconnaître la plasticité du capitalisme qui, depuis 1848, déjoue tous les pronostics relatifs à sa fin inéluctable. Sa capacité à se transformer, à contrecarrer ses propres dysfonctionnements et à se réorganiser ne saurait être sous-estimée, même si l'on peut aussi admettre qu'il bute désormais sur des contradictions et des limites sans cesse plus ardues à surmonter, notamment du fait de la difficulté à réinvestir des capitaux dont le volume croît exponentiellement et à étendre suffisamment la sphère de la valeur pour réaliser des profits conséquents. Certes, la relance de la production-pour-le-profit paraît encore envisageable, mais au prix de tensions et de problèmes dont l'échelle ne cesse de croître. On ne saurait affirmer sans péril que le capitalisme bute sur une limite absolue, mais il est sans doute raisonnable de considérer que la crise ouverte en 2007-2008 révèle les obstacles de plus en plus massifs que la dynamique du capitalisme doit surmonter ou contourner pour continuer à se perpétuer. L'ensemble des contradictions déjà soulignées (spirale de l'endettement et du crédit, croissance exponentielle des capitaux à réinvestir, restriction tendancielle du travail vivant nécessaire, caractère limité des ressources naturelles fossile, conséquences de la dégradation des écosystèmes et du changement climatique) semble condamner la reproduction du capitalisme à acquérir un caractère de plus en plus tensif, au sein d'un dispositif d'ensemble sans cesse plus complexe et porteur de lourdes contraintes. C'est au cœur de telles tensions que l'insubordination suscitée par les coûts humains et écologiques de la reproduction d'un tel système vient se loger. (p. 24-25)
Jérôme Baschet
Pour donner consistance à cette révolution du temps, il suffit de commencer à énumérer les domaines de production de biens et de services dont l'existence actuelle ne se soutient que de la logique de la société marchande, de la double nécessité d'accroître sans cesse la production-pour-le-profit et de reproduire l'organisation sociopolitique qui la rend possible. Osons donc trancher à la racine et mesurer l'ampleur des secteurs qui, dans une société non marchande, soucieuse de surcroît d'écarter toute séparation entre gouvernants et gouvernés, deviendraient parfaitement superflus. On peut éliminer sans hésiter tout le personnel militaire et policier, poursuivre avec les banques, le système financier et les assurances (ces dernières seules pèsent aujourd'hui 15 % du PIB mondial), sans se priver du plaisir d'ajouter la publicité et le marketing( qui absorbent 500 milliards de dépenses annuelles, soit près d'un tiers des budgets militaires mondiaux). Finalement, le principe d'un autogouvernement à tous les échelons, tel qu'on l'a suggéré dans le chapitre précédent, condamnerait l'ensemble des bureaucraties nationales et internationales à une complète inutilité. Dens pans considérables de l'appareil industriel seront abandonnés, à commencer par la production d'armes et d'équipements militaires. Les impératifs écologiques et l'affirmation de l'agriculture paysanne rendront caduque une grande partie de l'industrie chimique (notamment l'écrasant secteur agrochimique) comme des biotechnologies fortement contestées (OGM notamment). Le secteur agroalimentaire, exemple type d'une marchandisation perverse des formes de production, s'évanouira, au profit d'une valorisation de l'autoproduction et des circuits locaux de production/consommation. […] on voit que chaque abandon de production de biens et de services aura des effets démultiplicateurs importants, puisque les besoins en édifices (bureaux, installations industrielles), en matériaux et en énergie, en infrastructures et en transports, s'en trouveront diminués d'autant. Le secteur de la construction sera par conséquent ramené à une échelle bien plus raisonnable qu'aujourd'hui, ce qu'accentuerait encore la régénération des pratiques d'autoconstruction (ou du moins une participation directe des utilisateurs eux-mêmes, aux côtés d'artisans plus expérimentés). Chaque suppression dans la production de biens et de services éliminera à son tour toutes les productions nécessaires à son installation, à son fonctionnement, sans oublier la gestion des déchets engendrés par chacune de ces activités. Pour donner un exemple parmi tant d'autres, la suppression de la publicité (jointe à celle des bureaucraties et à d'autres changements technico-culturels) entraînera une diminution considérable de la consommation de papier, c'est-à-dire aussi de toute la chaîne industrielle qui lui est associée, dans laquelle il faut inclure exploitation forestière, produits chimiques, matériaux nécessaires aux installations industrielles, transport, etc. Sans nier la pertinence de maintenir des échanges à longue distance, le fait de privilégier, dans toute la mesure du possible, les activités locales et de supprimer les absurdes détours de production qui caractérisent l'économie capitaliste (lesquels mènent, par exemple, l'ail chinois jusqu'en Europe et de l'eau - oui, de l'eau ! - des Alpes jusqu'au Mexique) réduira à peu de chose la chaîne commerciale actuelle et restreindra encore les besoins en transport. Joint à l'abandon d'une logique de production et d'organisation centrée sur l'automobile et le fétichisme égolâtre qui la soutient, tout cela entraînera une forte contraction de la consommation énergétique, qui pourra être satisfaite grâce aux énergies renouvelables, produites, dans la mesure du possible, localement. En conséquence, tout ce qui fonde le poids écrasant du secteur énergétique dans l'économie mondiale actuelle s'évanouira pour l'essentiel. (p. 91-92)
Jérôme Baschet (Adiós al Capitalismo: Autonomía, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
..(l'architecte) il compose la musique que d'autres vont jouer. De plus, afin de vraiment comprendre ce qu'est l'architecture, il faut se rappeler que les gens qui l'interprètent ne sont pas des musiciens sensibles qui jouent la partition de quelqu'un d'autre, lui donnant un phrasé particulier, accentuant l'un ou l'autre trait de l'oeuvre. Au contraire, c'est une multitude de gens ordinaires qui, comme des fourmis travaillant ensemble à la construction de la fourmilière, contribuent de manière tout à fait impersonnelle à l'ensemble, souvent sans comprendre ce qu'ils aident à créer. Derrière eux il y a l'architecte qui organise le travail, et l'on pourrait vraiment dire que l'architecture est un art d'organisation. Le bâtiment est produit comme un film sans vedettes, une sorte de documentaire avec des gens ordinaires qui jouent tous les rôles.
Steen Eiler Rasmussen
Quelle maladie contagieuse avait bien pu attraper Speciosa ? J’ai insisté. Je lui répétais : « Speciosa est mon’ amie. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas la voir ? » Elle à fini par céder en disant que, de toute façon, bientôt, il m’arriverait ce qui est arrivé à Speciosa. Je suis entrée dans la maison. Speciosa était sur son lit. On avait ajouté une couche de paille fraîche. Quand Speciosa m’a vue, elle s’est mise à pleurer. Elle s’est soulevée. J’ai vu les herbes tout imprégnées de sang. « Tu vois, dit-elle, c’est mon sang. C’est comme ça que l’on devient femme. Tous les mois, je serai enfermée. Maman m’a dit que c’est comme ça pour les femmes. Elle prend la paille que j’ai souillée. Elle la brûle, en cachette, dans la huit. Elle enterre profondément les cendres. Elle a peur qu’on sorcier vienne la voler pour ses maléfices et que nos champs se dessèchent et que moi et mes sœurs soyons stériles à cause de ce premier sang qui pourrait mettre toute la famille en péril. On ne pourra plus s’amuser comme avant. À présent, je suis une femme, avec un pagne de femme, je me sens vraiment malheureuse. » Nous n’avons plus jamais joué ensemble.
Scholastique Mukasonga (Our Lady of the Nile)
Qui pouvait comprendre cela ? Personne. C'était un combat intime. Le plus invisible de tous. Le plus lancinant aussi.
Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout. 2 Mp3-CDs (French Edition))
Ils se donnèrent la main en remontant à la surface. La main, c'est bien. Ça n'engage pas trop celui qui la donne et ça apaise beaucoup celui qui la reçoit...
Anna Gavalda (Ensemble, c'est tout. 2 Mp3-CDs (French Edition))
Toutes les sociétés humaines ont besoin de justifier leurs inégalités : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi c’est l’ensemble de l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer.
Thomas Piketty
II L'Association bretonne. Il est une institution qui distingue la Bretagne des autres provinces et où se réflète son génie, l'Association bretonne. Dans ce pays couvert encore de landes et de terres incultes, et où il reste tant de ruines des anciens âges, des hommes intelligents ont compris que ces deux intérêts ne devaient pas être séparés, les progrès de l'agriculture et l'étude des monuments de l'histoire locale. Les comices agricoles ne s'occupent que des travaux d'agriculture, les sociétés savantes que de l'esprit; l'Association bretonne les a réunis: elle est à la fois une association agricole et une association littéraire. Aux expériences de l'agriculture, aux recherches archéologiques, elle donne de la suite et de l'unité; les efforts ne sont plus isolés, ils se font avec ensemble; l'Association bretonne continue, au XIXe siècle, l'oeuvre des moines des premiers temps du christianisme dans la Gaule, qui défrichaient le sol et éclairaient les âmes. Un appel a été fait dans les cinq départements de la Bretagne à tous ceux qui avaient à coeur les intérêts de leur patrie, aux écrivains et aux propriétaires, aux gentilshommes et aux simples paysans, et les adhésions sont arrivées de toutes parts. L'Association a deux moyens d'action: un bulletin mensuel, et un congrès annuel. Le bulletin rend compte des travaux des associés, des expériences, des essais, des découvertes scientifiques; le congrès ouvre des concours, tient des séances publiques, distribue des prix et des récompenses. Afin de faciliter les réunions et d'en faire profiter tout le pays, le congrès se tient alternativement dans chaque département; une année à Rennes, une autre à Saint-Brieuc, une autre fois à Vitré ou à Redon; en 1858, il s'est réuni à Quimper. A chaque congrès, des questions nouvelles sont agitées, discutées, éclaircies[1]: ces savants modestes qui consacrent leurs veilles à des recherches longues et pénibles, sont assurés que leurs travaux ne seront pas ignorés; tant d'intelligences vives et distinguées, qui demeureraient oisives dans le calme des petites villes, voient devant elles un but à leurs efforts; la publicité en est assurée, ils seront connus et appréciés. D'un bout de la province à l'autre, de Rennes à Brest, de Nantes à Saint-Malo, on se communique ses oeuvres et ses plans; tel antiquaire, à Saint-Brieuc, s'occupe des mêmes recherches qu'un autre à Quimper: il est un jour dans l'année où ils se retrouvent, où se resserrent les liens d'études et d'amitié. [Note 1: Voir l'Appendice.] Le congrès est un centre moral et intellectuel, bien plus, un centre national: ces congrès sont de véritables assises bretonnes; ils remplacent les anciens États: on y voit réunis, comme aux États, les trois ordres, le clergé, la noblesse et le tiers-état, le tiers-état plus nombreux qu'avant la Révolution, et de plus, mêlés aux nobles et aux bourgeois, les paysans. La Bretagne est une des provinces de France où les propriétaires vivent le plus sur leurs terres; beaucoup y passent l'année tout entière. De là une communauté d'habitudes, un échange de services, des relations plus familières et plus intimes, qui n'ôtent rien au respect d'une part, à la dignité de l'autre. Propriétaires et fermiers, réunis au congrès, sont soumis aux mêmes conditions et jugés par les mêmes lois; souvent le propriétaire concourt avec son fermier. Dans ces mêlées animées, où l'on se communique ses procédés, où l'on s'aide de ses conseils, où l'on distribue des prix et des encouragements, les riches propriétaires et les nobles traitent les paysans sur le pied de l'égalité; ici, la supériorité est au plus habile: c'est un paysan, Guévenoux, qui, en 1857, eut les honneurs du congrès de Redon. Voici quatorze ans que l'Association bretonne existe; l'ardeur a toujours été en croissant; les congrès sont devenus des solennités: on y vient de tous les points
Anonymous
La gauche socialiste se lançait sur la voie d'une mutation profonde, qui allait s'accentuer d'année en année, et commençait de se placer avec un enthousiasme suspect sous l'emprise d'intellectuels néoconservateurs qui, sous couvert de renouveler la pensée de gauche, travaillaient à effacer tout ce qui faisait que la gauche était la gauche. Se produisait, en réalité, une métamorphose générale et profonde des ethos autant que des références intellectuelles. On en parla plus d'exploitation et de résistance, mais de « modernisation nécessaire » et de « refondation sociale » ; plus de rapports de classe, mais de « vivre-ensemble » ; plus de destins sociaux, mais de « responsabilité individuelle ». La notion de domination et l'idée d'une polarité structurante entre les dominants et les dominés disparurent du paysage politique de la gauche officielle, au profit de l'idée neutralisante de « contrat sociale », de « pacte social », dans le cadre desquels des individus définis comme « égaux en droit » (« égaux » ? Quelle obscène plaisanterie !) étaient appelés à oublier leurs « intérêts particuliers » (c'est-à-dire à se taire et à laisser les gouvernants gouverner comme ils l'entendaient). Quels furent les objectifs idéologique de cette « philosophie politique », diffusée et célébrée d'un bout à l'autre du champ médiatique, politique et intellectuel, de la droite à la gauche (ses promoteurs s'évertuant d'ailleurs à effacer la frontière entre la droite et la gauche, en attirant, avec le consentement de celle-ci, la gauche vers la droite) ? L'enjeu était à peine dissimulé : l'exaltation sur « sujet autonome » et la volonté concomitante d'en finir avec les pensée qui s'attachaient à prendre en considération les déterminismes historiques et sociaux eurent pour principale fonction de défaire l'idée qu'il existait des groupes sociaux - des « classes » - et de justifier ainsi le démantèlement du welfare state et de la protection sociale, au nom d'une nécessaire individualisation (ou décollectivisation, désocialisation) du droit du travail et des systèmes de solidarité et de redistribution. Ces vieux discours et ces vieux projets, qui étaient jusqu'alors ceux de la droite, et ressassé obsessionnellement par la droite, mettant en avant la responsabilité individuelle contre le « collectivisme », devinrent aussi ceux d'une bonne partie de la gauche. Au fond, on pourrait résumer la situation en disant que les partis de gauche et leurs intellectuels de parti et d'État pensèrent et parlèrent désormais un langage de gouvernants et non plus le langage des gouvernés, s'exprimèrent au nom de gouvernants (et avec eux) et non plus au nom des gouvernés (et avec eux), et donc qu'ils adoptèrent sur le monde un point de vue de gouvernants en repoussant avec dédain (avec une grande violence discursive, qui fut éprouvée comme telle par ceux sur qui elle s'exerça) le point de vue des gouvernés. Tout au plus daigna-t-on, dans les versions chrétiennes ou philanthropiques de ces discours néoconservateurs, remplacer les opprimés et les dominés d'hier - et leurs combats - par les « exclus » d'aujourd'hui - et leur passivité présomptive - et se pencher sur eux comme les destinataires potentiels, mais silencieux, de mesures technocratiques destinés à aider les « pauvres » et les « victimes » de la « précarisation » et de la « désaffiliation ». Ce qui n'était qu'une autre stratégie intellectuelle, hypocrite et retorse, pour annuler toute approcher en termes d'oppression et de lutte, de reproduction et de transformation des structures sociales, d'inertie et de dynamique des antagonismes de classe. (p. 130-132)
Didier Eribon (Returning to Reims)
Chaque élève joue de son instrument, ce n'est pas la peine d'aller contre. Le délicat, c'est de bien connaître nos musiciens et de trouver l'harmonie. Une bonne classe, ce n'est pas un regiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille la même symphonie. Et si vous avez hérité du petit triangle qui ne sait faire que ting ting, ou de la guimbarde qui ne fait que bloïng bloïng, le tout est qu'ils le fassent au bon moment, le mieux possible, qu'ils deviennent un excellent triangle, un irréprochable guimbarde, et qu'ils soient fiers de la qualité que leur contribution confère à l'ensemble. Comme le goût de l'harmonie les fait tous progresser, le petit triangle finira lui aussi par connaître la musique, peut-être pas aussi brillamment que le premier violon, mais il connaîtra la même musique.
Daniel Pennac (Chagrin d'école)
Ce qu'il dit, c'est que c'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées. Dans les temps anciens, admettons : les gens étaient crédules, la science n'existait pas. Mais aujourd'hui ! Un type qui aujourd'hui croirait à des histoires de dieux qui se transforment en cygnes pour séduire des mortelles, ou à des princesses qui embrassent des crapauds et quand elles les embrassent ils deviennent des princes charmants, tout le monde dirait : il est fou. Or, un tas de gens croient une histoire tout aussi délirante et ces gens ne passent pas pour des fous. Même sans partager leur croyance, on les prend au sérieux. Ils ont un rôle social, moins important que par le passé, mais respecté et dans l'ensemble plutôt positif. Leur lubie cohabite avec des activités tout à fait sensées. Les présidents de la République rendent visite à leur chef avec déférence. C'est quand même bizarre, non ? (p. 15)
Emmanuel Carrère (Le Royaume)
Je n'ai jamais vu le Sheikh Ahmed, qui était encore très peu connu à l'époque déjà lointaine où j'étais en Algérie [à Sétif, durant l'année scolaire 1917-1918], et d'ailleurs je n'ai pas eu l'occasion d'aller dans la province d'Oran; c'est seulement beaucoup plus tard que je suis entré en correspondance avec Mostaganem par l'entremise de Taillard. Quant au 1er voyage de Sh.[eikh] A.[ïssa] [F. Schuon], voici ce qu'il en est exactement : quand il m'a annoncé qu'il partait pour l'Algérie, sa lettre m'est arrivée trop tard pour qu'une réponse puisse encore lui parvenir avant la date de son départ, de sorte que je n'ai pas pu lui donner alors une indication quelconque; tout ce que j'ai pu faire et ce que j'ai fait était d'invoquer pour lui la barakah de Sidi Abul-Hassan [ash-Shâdhilî], en demandant qu'il soit conduit auprès du Sheikh Ahmed, et c'est ce qui est arrivé en effet, à la suite d'un ensemble de circonstances assez singulières comme vous le savez; je dois dire que lui-même n'a jamais rien su de cela, car j'ai trouvé inutile de lui en parler. Pour ce qui est de la suite, c'est lui qui me l'a raconté la 1re fois qu'il est venu ici: à son arrivée, il n'a pas pu voir le Sheikh Ahmed qui était souffrant, et ceux qui l'ont reçu lui ont déclaré que, ne le connaissant pas, ils ne pouvaient pas l'admettre à séjourner à la zawîyah; au cours de la conversation, il lui est arrivé de prononcer mon nom, je ne sais à quel propos, et l'attitude à son égard a changé aussitôt : on lui a dit alors qu'on venait justement de recevoir une lettre de moi le jour même, et, bien que naturellement il n'y ait eu dans cette lettre rien le concernant, cette coïncidence a été interprétée comme un signe favorable, de sorte qu'on l'a autorisé à rester. Quelques jours plus tard, il m'a écrit pour me faire savoir où il était, mais il ne savait pas encore de quoi il s'agissait en réalité ni ce que c'était que la tarîqah; c'est en lui répondant que je lui ai donné des explications qui l'ont déterminé à demander son rattachement; il ne s'agit donc pas d'une lettre qui lui aurait été renvoyée de France comme vous l'avez entendu dire, puisque je n'avais pas pu lui écrire avant son départ. Vous voyez par tout cela que je pourrais bien dire, sans exagération, que sans moi il n'y aurait jamais eu de Sh. A. ! - Je vous disais la dernière fois qu'il n'y avait aucune différence entre son cas et celui des autres moqaddem qui ont cessé d'entretenir des relations avec Mostaganem; il y en a cependant une qui, en un certain sens, serait à son désavantage : c'est que les autres avaient été nommés par le Sheikh Ahmed, tandis que lui ne l'a été qu'après sa mort et par le Sheikh Adda. 16 septembre 1950 [Cahiers de l'Unité n°13, Stanislas Ibranoff, René Guénon et la tradition hindoue par Renaud Fabbri]
René Guénon
MARIE-LOUISE. […] J’ai lu dans le Sélection, l’aut’jour, qu’une famille c’est comme une cellule vivante, que chaque membre de la famille doit contribuer à la vie de la cellule… Cellule mon cul… Ah! Oui, pour être une cellule, c’est une cellule, mais pas de c’te sorte-là! Nous autres, quand on se marie, c’est pour être tu-seuls ensemble. Toé [Léopold], t’es tu-seule, ton mari à côté de toé est tu-seul, pis tes enfants sont tu-seuls de leur bord… Pis tout le monde se regarder comme chien et chat… Une gang de tu-seuls ensemble, c’est ça qu’on est!
Michel Tremblay (À toi, pour toujours, ta Marie-Lou)
De même que dans le cadre du schéma trifonctionnel chrétien, l’ordre brahmanique exprime à sa façon un idéal d’équilibre entre différentes formes de légitimité à gouverner. Dans les deux cas, il s’agit au fond de faire en sorte que la force brute des rois et des guerriers ne néglige pas les sages conseils des clercs et des lettrés, et que le pouvoir politique s’appuie sur les connaissances et le pouvoir intellectuel. Il est intéressant de rappeler que Gandhi, qui reprochait aux Britanniques d’avoir rigidifié les frontières entre castes autrefois fluides, afin de mieux diviser et dominer l’Inde, avait dans le même temps une attitude relativement respectueuse et conservatrice face à l’idéal brahmanique. Certes Gandhi militait pour que la société hindoue devienne moins inégalitaire et plus inclusive vis-à-vis de ses classes les plus basses, en particulier vis-à-vis des shudra et des « intouchables », qui rassemblaient des catégories discriminées plus basses encore que les shudra au sein de l’ordre hindou, placées en marge de la société, parfois du fait d’occupations jugées impropres, liées notamment à l’abattage des animaux et au travail des peaux. Mais Gandhi insistait dans le même temps sur le rôle essentiel joué par les brahmanes, ou tout du moins par ceux qui se comportaient comme tels à ses yeux, c’est-à-dire sans arrogance et sans âpreté, mais au contraire avec bienveillance et grandeur d’âme, en mettant leur sagesse et leurs connaissances de lettrés au service de la société dans son ensemble. Lui-même rattaché au groupe deux-fois-né des vaishya, Gandhi prit dans de nombreux discours publics, en particulier à Tanjore en 1927, la défense de la logique de complémentarité fonctionnelle qui était selon lui à la base de la société hindoue traditionnelle. En reconnaissant le principe de l’hérédité dans la transmission des talents et des occupations, non pas comme règle absolue et rigide mais comme un principe général pouvant admettre des exceptions individuelles, le régime des castes permettait selon lui de donner une place à chacun, et d’éviter la compétition généralisée entre groupes sociaux, la guerre de tous contre tous, et en particulier la guerre des classes à l’occidentale . Surtout, Gandhi se méfiait plus que tout de la dimension anti-intellectuelle des discours antibrahmaniques. Il considérait que la sobriété et la sagesse des lettrés, vertus auxquelles il se rattachait par sa pratique personnelle (bien que non-brahmane lui- même), étaient des qualités sociales indispensables pour l’harmonie générale. Il se méfiait aussi du matérialisme occidental et de son goût immodéré pour l’accumulation de richesses et de pouvoir.
Thomas Piketty (Capital and Ideology)
Parmi tant de surprenantes boutiques, celles qui donnent le plus à réfléchir sont pour moi, dans une rue que les étrangers connaissent à peine, ces espèces de hangars poussiéreux, où s'entassent les vieilles armes, les vieilles cuirasses, les vieux visages d'acier, tout l'attirail pour faire peur qui servait aux anciennes batailles, et les fanions des Samouraïs, leurs emblèmes de ralliement, leurs étendards. Sur des fantômes de mannequins qui ne tiennent plus debout, posent des armures squameuses, des moitiés de figures poilues, des masques ricanant la mort. Un fouillis d'objets ultra-méchants, qui pour nous ne ressemblent à rien de connu, tellement qu'on les croirait tombés de quelque planète à peine voisine. Ce Japon à demi fantastique, soudainement écroulé après des millénaires de durée, gît là pêle-mêle et continue de dégager un vague effroi. Ainsi, les pères, ou les grands-pères tout au plus, de ces petits soldats d'aujourd'hui, si drôlement corrects dans leurs uniformes d'Occident, se déguisaient encore en monstres de rêve, il y a cinquante ans à peine, lorsqu'il s'agissait d'aller se battre; ils mettaient ces cornes, ces crêtes, ces antennes; ils ressemblaient à des scarabées, des hippocampes, des chimères: par les trous de ces masques à grimace, luisaient leurs yeux obliques et sortaient leurs cris de fureur ou d'agonie... Et c'est dans les vallées ou les champs de ce gentil pays vert qu'avaient lieu ces scènes uniques au monde: les rencontres et les corps à corps d'armées rivales, vêtues avec cet art démoniaque, alors que les longs sabres coupants, tenus à deux mains au bout de bras musculeux et courts, décrivaient leurs moulinets en l'air, puis faisaient partout des entailles saignantes, fauchaient ensemble les casques cornus et les figures masquées.
Pierre Loti (La troisième jeunesse de Madame Prune / Le mariage de Loti)
« Tout est soumis au roi de toutes choses. C'est par lui que l'ensemble de l'univers existe : il est l'auteur de tout bien. Les choses qui tiennent le second rang relèvent du second ; les troisièmes du troisième; » je ne puis voir dans ces paroles que l'énonciation du mystère de la sainte Trinité; le troisième désigne le Saint-Esprit, et le second représente le Fils par lequel tout s'exécute d'après la volonté du Père.
Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
Revenons sur les cinq éléments qui nous conditionnent : ✓    Tout d’abord, l’état émotionnel et psychologique dans lequel nous nous trouvons quand nous considérons les événements ou que nous prenons des décisions ; ✓    Les questions qui découlent de cet événement. Les réponses sont influencées par l’état émotionnel, mais la formulation de la question elle-même en dépend. Celles-ci sont à l’origine d’évaluations plus ou moins positives que l’on a de soi ; ✓    Les valeurs influencent la manière de percevoir l’événement et la façon d’y répondre. Les deux principales valeurs communes à tous les êtres humains sont, d’un côté, la recherche du plaisir et, de l’autre, la souffrance ; ✓    Les croyances qui contrôlent nos émotions donnent également du sens à un événement. C’est l’ensemble de nos croyances qui déterminent les éléments qui sont source de plaisir et ceux qui sont source de souffrance ; ✓    Enfin, leur dernier élément, qui régit nos réponses à un événement, sont nos expériences de référence.
Eleanor Martel (ANTHONY ROBBINS "Résumé Détaillé et Complet De Trois Grandes Œuvres": Pouvoir illimité, L’éveil de votre puissance intérieure, Les onze lois de la réussite (French Edition))
C’est pourquoi la vibration ondulatoire, après avoir impressionné tout l’océan psychique, revient au lieu même où elle naquit, avec une valeur et une direction nouvelles, sur lesquelles nous n’avons, nous humains, aucunes données certaines, ni même conceptibles (car les influences rencontrées par l’ondulation sur l’océan psychique sont au-dessus du domaine humain, et font partie d’un ensemble cosmique dont nous ignorons les éléments de vigueur)
Matgioi (La Voie Rationnelle)
Déjà le Grand Khan cherchait dans son atlas les plans des villes que menacent incubes et malédictions : Enoch, Babylone, Yahoo, Butua, Brave New World. Il dit : — Tout est inutile, si l’ultime accostage ne peut être que la ville infernale, si c’est là dans ce fond que, sur une spirale toujours plus resserrée, va finir le courant. Et Polo : — L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.
Italo Calvino (Les villes invisibles)