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Ă trente ans, ce colosse au crĂąne rasĂ© en a dĂ©jĂ passĂ© dix en prison et, comme il le dit joliment, « vit entourĂ© de crimes comme les habitants dâune forĂȘt vivent entourĂ©s dâarbres ». Cela ne lâempĂȘche pas dâĂȘtre un homme paisible, dâhumeur toujours joyeuse, en qui se mĂȘlent les traits du fol en Christ russe et de lâascĂšte oriental. ĂtĂ© comme hiver, mĂȘme quand le thermomĂštre dans la cellule descend au-dessous de zĂ©ro, il est en short et tongs, il ne mange pas de viande, il ne boit pas de thĂ© mais de lâeau chaude et pratique dâimpressionnants exercices de yoga. On lâignore souvent, mais Ă©normĂ©ment de gens, en Russie, font du yoga : encore plus quâen Californie, et cela dans tous les milieux. Pacha, trĂšs vite, repĂšre en « Ădouard Veniaminovitch » un homme sage. « Des gens comme vous, lui assure-t-il, on nâen fait plus, en tout cas je nâen ai pas rencontrĂ©. » Et il lui apprend Ă mĂ©diter.
On sâen fait une montagne quand on nâa jamais essayĂ© mais câest extrĂȘmement simple, en fait, et peut sâenseigner en cinq minutes. On sâassied en tailleur, on se tient le plus droit possible, on Ă©tire la colonne vertĂ©brale du coccyx jusquâĂ lâocciput, on ferme les yeux et on se concentre sur sa respiration. Inspiration, expiration. Câest tout. La difficultĂ© est justement que ce soit tout. La difficultĂ© est de sâen tenir Ă cela. Quand on dĂ©bute, on fait du zĂšle, on essaie de chasser les pensĂ©es. On sâaperçoit vite quâon ne les chasse pas comme ça mais on regarde leur manĂšge tourner et, petit Ă petit, on est un peu moins emportĂ© par le manĂšge. Le souffle, petit Ă petit, ralentit. LâidĂ©e est de lâobserver sans le modifier et câest, lĂ aussi, extrĂȘmement difficile, presque impossible, mais en pratiquant on progresse un peu, et un peu, câest Ă©norme. On entrevoit une zone de calme. Si, pour une raison ou pour une autre, on nâest pas calme, si on a lâesprit agitĂ©, ce nâest pas grave : on observe son agitation, ou son ennui, ou son envie de bouger, et en les observant on les met Ă distance, on en est un peu moins prisonnier. Pour ma part, je pratique cet exercice depuis des annĂ©es. JâĂ©vite dâen parler parce que je suis mal Ă lâaise avec le cĂŽtĂ© new age, soyez zen, toute cette soupe, mais câest si efficace, si bienfaisant, que jâai du mal Ă comprendre que tout le monde ne le fasse pas. Un ami plaisantait rĂ©cemment, devant moi, au sujet de David Lynch, le cinĂ©aste, en disant quâil Ă©tait devenu complĂštement zinzin parce quâil ne parlait plus que de la mĂ©ditation et voulait persuader les gouvernements de la mettre au programme dĂšs lâĂ©cole primaire. Je nâai rien dit mais il me semblait Ă©vident que le zinzin, lĂ -dedans, câĂ©tait mon ami, et que Lynch avait totalement raison.
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