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Face à la montée des couches populaires en 1985–1986, la classe dominante avait renoncé à la maîtrise directe de l’appareil politico-administratif. Elle se contente, dans la plupart des cas, d’inspirer et de piloter à distance la politique économique et monétaire. Exemples ? Le long discours-programme rédigé en partie par le secteur privé et lu par le général-président Henry Namphy en mars-avril 1986. En 1991–1992, à la suite de l’embargo imposé pour ramener Aristide au pouvoir, elle abandonnait ses projets d’industrialisation. Elle se concentrait sur la recherche du profit, laissant aux couches moyennes la triste et ingrate besogne de la gestion de la misère du peuple et de la répression. Il faut vraiment que ses intérêts paraissent en grand danger pour qu’elle se résigne à « aller au charbon », comme lorsqu’il fut nécessaire de mobiliser l’Association des Industries d’Haïti afin d’abattre Jean-Claude Duvalier, à la fin de janvier 1986, quand celui-ci avait épuisé sa durée de vie politique utile. Ce scénario rappelle l’apologue du chien hollandais que conte Chateaubriand dans ses Mémoires d’Outre-Tombe : « Quand les Hollandais essuient un coup de vent en haute mer, ils se retirent dans l’intérieur du navire, ferment les écoutilles et boivent du punch, laissant un chien sur le pont pour aboyer à la tempête; le danger passé, on renvoie Fidèle à sa niche au fond de la cale, et le capitaine revient jouir du beau temps sur le gaillard. » Voilà ce qui pourrait fort bien s’appliquer tant à Jean-Claude Duvalier qu’à Henry Namphy, à cette différence près que la bourgeoisie haïtienne, au lieu de les renvoyer à la cale, les a simplement basculés par-dessus bord.
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Michel Soukar (Radiographie de la «bourgeoisie haïtienne» suivie de : Un nouveau rôle pour les «élites haïtiennes» au 21e siècle (French Edition))