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Lâhomme est le seul ĂȘtre, dans le monde terrestre, Ă pouvoir se purifier consciemment des taches de son existence, et câest pour cela quâil est dit que « lâhomme est le seul animal qui sacrifie » (Shatapatha-BrĂąhmana, VII, 5) ; en dâautres termes, la vie Ă©tant un don du CrĂ©ateur, les ĂȘtres conscients et responsables doivent, afin de rĂ©aliser spirituellement le sens de ce don en se rĂ©fĂ©rant Ă sa qualitĂ© symbolique, et afin de rendre ce don, par lĂ mĂȘme, plus prospĂšre et plus durable, sacrifier au CrĂ©ateur une partie de ce quâil a donnĂ©. Ce sacrifice peut avoir des formes soit sanglantes, soit non sanglantes : ainsi, pour ne citer que ces exemples parmi une multitude dâautres, les Hindous, comme beaucoup de peuples, ne mangent quâaprĂšs avoir offert une part aux divinitĂ©s, de sorte quâils ne se nourrissent au fond que de restes sacrificiels ; de mĂȘme encore, les Musulmans et les Juifs versent tout le sang de la viande destinĂ©e Ă la consommation. Dans un sens analogue, les guerriers de certaines tribus de lâAmĂ©rique du Nord sacrifiaient, au moment de leur initiation guerriĂšre, un doigt au « Grand- Esprit » ; il est Ă retenir que les doigts sont sous un certain rapport ce quâil y a de plus prĂ©cieux pour le guerrier, homme dâaction, et dâautre part, le fait que lâon possĂšde dix doigts et que lâon en sacrifie un, câest-Ă -dire un dixiĂšme de ce qui reprĂ©sente notre activitĂ©, est fort significatif, dâabord parce que le nombre dix est celui du cycle accompli ou entiĂšrement rĂ©alisĂ©, et ensuite Ă cause de lâanalogie qui existe entre le sacrifice dont nous venons de parler et la dĂźme (dĂ©cima, dixiĂšme).
Celle-ci est du reste lâĂ©quivalent exact de la zakkĂąt musulmane, lâaumĂŽne ordonnĂ©e par la Loi qoranique : afin de conserver et dâaugmenter les biens, on empĂȘche le cycle de prospĂ©ritĂ© de se fermer et cela en sacrifiant le dixiĂšme, câest-Ă -dire la partie qui constituerait prĂ©cisĂ©ment lâachĂšvement et la fin du cycle. Le mot zakkĂąt a le double sens de « purification » et de « croissance », termes dont le rapport Ă©troit apparaĂźt trĂšs nettement dans lâexemple de la taille des plantes ; ce mot zakkĂąt vient Ă©tymologiquement du verbe zakĂą qui veut dire « prospĂ©rer » ou « purifier », ou encore, dans une autre acception, « lever » ou « payer » la contribution sacrĂ©e, ou encore « augmenter ». Rappelons aussi, dans cet ordre dâidĂ©es, lâexpression arabe dĂźn, qui signifie non seulement « tradition », selon lâacception la plus courante, mais aussi « jugement », et, avec une voyellisation un peu diffĂ©rente qui fait que le mot se prononce alors dayn, « dette » ; ici encore, les sens respectifs du mot se tiennent, la tradition Ă©tant considĂ©rĂ©e comme la dette de lâhomme vis-Ă -vis de Dieu ; et le « Jour du Jugement » (Yawm ed-DĂźn) â « Jour » dont AllĂąh est appelĂ© le « Roi » (MĂąlik) â nâest autre que le jour du « paiement de la dette » de lâindividu envers Celui Ă qui il doit tout et qui est son ultime raison suffisante.
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Frithjof Schuon (The Eye of the Heart: Metaphysics, Cosmology, Spiritual Life (Library of Traditional Wisdom))