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La censure sous CeauÈescu, vue par Vasile Andru (p. 327-328) :
Il y avait une dizaine de procédés. Ma génération les a tous pratiqués, appliqués surtout d'une façon empirique selon l'inspiration du moment. Ces procédés commencent par un palier lexical-sémantique, continue avec l'observation de stratégies de construction et d'expression, l'écriture entre les lignes, le syntagme énigmatique, l'utilisation de procédés ésopiques tels que l'allégorie et la parabole ou les déguisements spatio-temporelles et, enfin, divers procédés expérimentaux. Tout cela était associé aux stratégies de négociation. En voici quelques exemples :
Les mots dĂ©fendus : l'affĂ»t de la censure commencĂ©e dĂšs le mot⊠Il existait des listes de mots prohibĂ©s. Lorsque le livre avait reçu le visa de la censure (donc sans les mots refusĂ©s), je travaillais Ă nouveau le texte avant son impression. Je remettais Ă leur place certains mots dĂ©fendus⊠Le rĂ©dacteur du livre (l'Ă©diteur) devait ĂȘtre un alliĂ© sinon tout tombĂ© Ă l'eauâŠ
Les codes allusifs : ils ont conduit Ă une littĂ©rature Ă©sopique. En Roumanie tout le monde a appris ces codes allusifs de sorte qu'ils fonctionnaient au niveau de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, l'expression Ă©sopique n'a-t-elle pas isolĂ© l'Ă©crivain, quoiqu'elle ait peut-ĂȘtre isolĂ© notre littĂ©rature du monde entier.
Le récit allégorique : je crois que les années soixante-dix ont propulsé en général l'allégorie pour deux raisons : la premiÚre, c'était l'angoisse existentielle (poussée parfois jusqu'à la névrose) et la seconde, c'était l'ambition universaliste. La tendance à l'occultation était associée à créer des visions vastes. Cette démarche cachait tout autant un geste cognitif que contestataire.
Le déguisement romantique : le genre historique nous a permis à nous les écrivains, des renvois au présent. En parlant de la maniÚre dont Trajan a puni les délateurs de Rome, il était clair à quels délateurs je faisais allusion.
L'expĂ©rimentation littĂ©raire : avec les proses des annĂ©es 1980 j'ai introduit des procĂ©dĂ©s plus Ă©laborĂ©s - le montage cinĂ©tique, le « relanceur textuel » coupĂ© du contexte. En cela, il ne s'agissait pas seulement de contrecarrer la vigilance de la censure, mais de repenser l'efficience du langage, il s'agissait d'une « revigoration » moderniste. Quoiqu'il en soit, je n'ai jamais misĂ© sur la naĂŻvetĂ© de la censure ou sur sa bĂȘtise. Les censeurs n'Ă©taient pas bĂȘtes, on ne pouvait pas les duper. Ils Ă©taient diplĂŽmĂ©s, c'Ă©tait nos anciens camarades de facultĂ©.
Malgré les procédés utilisés il arrivait qu'un livre soit refusé. Il fallait alors changer la maison d'édition et il pouvait arriver que la publication soit accordée à l'une de ces maisons plutÎt qu'à l'autre. Entraient en alors en jeu le zÚle ou l'excÚs de prudence avec lesquels ces derniÚres agissaient.
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