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Assis devant mon bureau, au-dessus duquel jâavais placĂ© une pancarte portant ces mots : « N'abandonnez pas tout espoir, vous qui entrez ! » â assis et disant Oui, Non, Oui, Non, je me rendais compte, avec un dĂ©sespoir qui confinait Ă la rage, que je nâĂ©tais quâune marionnette entre les mains de laquelle la sociĂ©tĂ© avait mis une mitraillette. Que je fisse une bonne ou une mauvaise action revenait exactement au mĂȘme, au bout du compte. Je ressemblais Ă un signe Ă©gal, par lequel passait lâessaim algĂ©brique de lâhumanitĂ©. Une sorte de signe Ă©gal plutĂŽt important et actif, comme peut lâĂȘtre un gĂ©nĂ©ral en temps de guerre, mais peu importait le degrĂ© de compĂ©tence que je pouvais atteindre : jamais je ne parviendrais Ă me transformer en signe plus ou moins. Pas plus que personne dâautre, pour autant que je pouvais mâen rendre compte. Notre vie entiĂšre Ă©tait bĂątie sur ce principe dâĂ©quation. Les intĂ©grales Ă©taient devenues autant de symboles que lâon baladait au service de la mort. PitiĂ©, dĂ©sespoir, passion, espoir, courage, nâĂ©taient que les rĂ©fractions temporelles dues Ă la diversitĂ© des angles sous lesquels on regardait les Ă©quations. Mettre fin Ă cette jonglerie interminable en lui tournant le dos ou en lâaffrontant carrĂ©ment et en en faisant le sujet de ses Ă©crits nâĂ©tait non plus dâaucun secours. Dans une galerie des glaces il nây a pas moyen de se tourner le dos Ă soi-mĂȘme. Non je ne ferai pas cela â je ferai autre chose ! Dâaccord. Mais ĂȘtes-vous capable de ne rien faire du tout ? Et vous empĂȘcher de penser que vous ne faites rien du tout ? De vous arrĂȘter net, et sans penser le moins du monde, de rayonner la vĂ©ritĂ© que vous savez ĂȘtre vraie ? Telle Ă©tait lâidĂ©e qui sâĂ©tait logĂ©e derriĂšre mon crĂąne et dont le feu me dĂ©vorait de plus en plus, et peut-ĂȘtre alors Ă©tais-je au comble de lâexpansion, Ă lâapogĂ©e de mon Ă©nergie rayonnante, au sommet de la sympathie, de la bonne volontĂ© et de la charitĂ©, de la sincĂ©ritĂ©, de la bontĂ©, peut-ĂȘtre Ă©tait-ce cette idĂ©e fixe dont la lumiĂšre perçait Ă travers moi â et de rĂ©pĂ©ter automatiquement : « Mais non, mais non, il nây a pas de quoi⊠pas du tout, je vous assure⊠non, non, je vous en prie, ne me remerciez pas, ce nâest rien », etc., etc. Ă force de fusiller Ă jet continu des centaines de types par jour, peut-ĂȘtre finissais-je par ne plus mĂȘme entendre les dĂ©tonations ;
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