“
Voyant quels réflexes merveilleux il obtenait avec les nerfs faciaux de Danton, immobilisés dans la mort depuis plus d'un siècle, Canterel avait conÁu l'espoir de donner une complète illusion de la vie en agissant sur de récents cadavres, garantis par un froid vif contre la moindre altération.
Mais la nécessité d'une basse température empêchait d'utiliser l'intense pouvoir électrisant de l'aqua-micans, qui, se congelant rapidement, eût emprisonné chaque trépassé, dès lors impuissant à se mouvoir.
S'esseyant longuement sur des cadavres soumis à temps au froid voulu, le maître, après maints t’tonnements, finit par composer d'une part du vitalium, d'autre part de la résurrectine, matière rouge’tre à base d'érythrite, qui, injectée liquide dans le cr’ne de tel sujet défunt, par une ouverture percée latéralement, se solidifiait d'elle-même autour du cerveau étreint de tous côtés. Il suffisait alors de mettre un point de l'enveloppe intérieure ainsi créée en contact avec du vitalium, métal brun facile à introduire sous la forme d'une tige courte dans l'orifice d'injection, pour que les deux nouveaux corps, inactifs l'un sans l'autre, dégageassent à l'instant une électricité puissante, qui, pénétrant le cerveau, triomphait de la rigidité cadavérique et douait le sujet d'une impressionnante vie factice. Par suite d'un curieux éveil de mémoire, ce dernier reproduisait aussitôt, avec une stricte exactitude, les moindres mouvements accomplis par lui durant telles minutes marquantes de son existence ; puis, sans temps de repos, il répétait indéfiniment la même invariable série de faits et gestes choisie une fois pour toutes. Et l'illusion de la vie était absolue : mobilité du regard, jeu continuel des poumons, parole, agissements divers, marche, rien n'y manquait.
Quand la découverte fut connue, Canterel reÁut maintes lettres émanant de familles alarmées, tendrement désireuses de voir quel qu'un des leurs, condamné sans espoir, revivre sous leurs yeux après l'instant fatal. Le maître fit édifier dans son parc, en élargissant partiellement certaine allée rectiligne afin de se fournir un emplacement favorable, une sorte d'immense salle rectangulaire, simplement formée d'une charpente métallique supportant un plafond et des parois de verre. Il la garnit d'appareils électriques réfrigérants destinés à y créer un froid constant, qui, suffisant pour préserver les corps de toute putréfaction, ne risquait cependant pas de durcir leurs tissus. Chaudement couverts, Canterel et ses aides pouvaient sans peine passer là de longs moments.
Transporté dans cette vaste glacière, chaque sujet défunt agréé par le maître subissait une injection cr’nienne de résurrectine. L'introduction de la substance avait lieu par un trou mince, qui, pratiqué au-dessus de l'oreille droite, recevait bientôt un étroit bouchon de vitalium.
Résurrectine et vitalium une fois en contact, le sujet agissait, tandis qu’auprès de lui un témoin de sa vie, emmitouflé à souhait, s’employait à reconnaître, aux gestes ou aux paroles, la scène reproduite - qui pouvait se composer d’un faisceau de plusieurs épisodes distincts.
”
”